— L’existence de
Il désigna la photo de l’entomologiste entre les carcasses.
— Pourquoi ne la-t-il pas pendu lui-même ? Et qu’en est-il de...
— Doucement, David, doucement... Je comprends ton sentiment, mais je t’avais prévenu, pour ton épouse et ton enfant. Elles ne doivent pas s’y attacher... Grin’ch devra être sacrifié le cinq février. Il en est ainsi, selon le planning. Qu’est-ce qui te met dans un état pareil ? Ce n’est qu’un animal, après tout... Tu fais dix fois pire sur des humains.
Il hocha sèchement la tête.
— Ouvre ces tiroirs, si tu veux, et remue les dossiers dans tous les sens. Si tu es fortiche en allemand, tu verras que je ne te mens pas.
Doffre déverrouilla un tiroir. Puis il brassa des feuilles.
— Vas-y ! Tout est là ! Courbes, relevés,
David sentit le rouge lui monter aux joues.
— Ça... Ça ira, je vous crois... Mais... Je ne sais pas si je pourrai faire... ce que vous attendez de moi...
Doffre retourna auprès du bureau.
— Tu y arriveras. Je te fais confiance... Bon ! Parlons de ce qui nous intéresse, si ça ne te dérange pas ! T’es-tu approprié le dossier Bourreau ?
— En partie. Difficile d’avancer comme je le voudrais, avec l’écriture, les tâches quotidiennes, les relevés pour les entomologistes. ... Mais j’y ai décelé... des faits intéressants...
Doffre sortit ses dés, qu’il jeta sur le bureau. Double six, bien entendu.
— Ah ! Tu m’intéresses. De quel genre ?
David s’était figé. Il fixait les dés avec une intensité d’hypnotiseur.
— David ? Un problème ?
Tout tremblant, il plongea sur une feuille de papier, y gribouilla des chiffres. Une opération. Il posait une opération. 101703... 101005... 98784... 98101... 98067... 97878... 97656... Les énigmes du Bourreau... Triturées là, au bout de sa plume.
— Tu commences à m’inquiéter ! s’impatienta Doffre.
Le jeune homme leva soudain un regard noir.
— Arthur !
Il s’appesantit de nouveau sur ses calculs.
— J’espère que vous avez un peu de temps à m’accorder !
— S’il s’agit d’une urgence... Je t’écoute.
David se rua sur l’épais dossier. Il se mouilla l’index, en proie à son excitation, et se mit à feuilleter les pages. Doffre le contemplait avec fascination.
— D’accord ! D’accord ! Passons rapidement en revue l’histoire du Bourreau... Le 4 juillet... Le 4 juillet 1977... Georges et Pascale Dumortier, les premières victimes, sont assassinés à leur domicile, selon un rituel très précis qu’ont réussi à reconstituer les criminologues. Il menotte et bâillonne le mari, le déshabille...
— Je connais ! Abrège, s’il te plaît !
— Écoutez, j’ai... j’ai besoin de ça ! Laissez-moi continuer !
— Vas-y, fit Doffre.
— Donc, le Bourreau étale des instruments devant lui. Des tenailles de différentes tailles, des bistouris, une paire de ciseaux et toutes sortes de couteaux. Il installe sa balance de Roberval, pose sa plume de Maât d’une masse de cent vingt-cinq grammes sur l’un des plateaux, et demande à l’épouse, Pascale, de l’équilibrer en prélevant ce qu’elle souhaite sur son mari. Pascale est directrice d’école, c’est une femme à poigne...
— Ce qu’elle souhaite... répéta l’ancien psychologue. Il ne lui dit pas quoi, ni comment. Il laisse libre cours à son imagination. Si la balance est équilibrée, il leur accorde la vie.
— Exactement ! embraya David. La vue de son enfant dans les bras du tortionnaire, ce couteau pointé sur la gorge du petit la forcent à coopérer. La peur de mourir, l’instinct de survie...
Arthur acquiesça.
— Le Bourreau aimait détruire psychologiquement ses proies... La destruction, l’un des éléments clés qui l’emmenaient au nirvana. Ce pour quoi il choisissait des femmes au caractère fort. Les plus combatives.
Doffre baissa les yeux, soudain troublé. Revivait-il ses séances avec Bourne ? Se remémorait-il ses erreurs de jugement sur son patient ?
Le transfert se mettait en place. La fusion des personnalités. Les blessures du temps.
— En effet, continua David. Alors, Pascale va trouver le courage de le faire. Leur sauver la vie, à tous les trois. Parce quelle croit l’homme en face d’elle. Il est devenu son bourreau, mais aussi, paradoxalement, son sauveur. Celui qui décidera. Les techniciens de scène de crime ont supposé qu’elle avait commencé par couper les cheveux de son mari, le plus à ras possible, puis ses poils sur le torse, sous les bras... ses poils pubiens... Elle ne récoltera qu’une quarantaine de grammes, largement en deçà de ce qu’elle escomptait...