Il attrapa de nouveau son pull.
— Restez ! J’ai fini ! J’ai presque fini ! « Au moment où il s’agenouillait pour la pénétrer, elle lui fracassa une pierre pointue sur la figure. L’arcade explosa, il sombra sur le sol, les deux mains devant lui, grognant comme une bête. Emma se redressa, le bloc brandi au-dessus de la tête, et cogna, cogna, cogna. Il vivait encore. Alors elle ramassa le scalpel et lui sectionna le sexe, d’un coup net. Elle le lui fourra au fond de la gorge. « Bouffe ! Bouffe ! Espèce de porc ! Bouffe-toi la bite !« hurla-t-elle en se vidant de son sang. Doffre mourut étouffé, la bite entre les lèvres. Quant à Emma... elle mourut aussi, la bite dans la main. Fin. Roman dédié à Arthur Doffre et à Emma Machin. Votre serviteur, David Miller. »
Il posa les feuilles sur la table et se leva, titubant.
Adeline secoua la tête de dépit.
— Un asile de fous... J’ai mis les pieds dans un asile de fous...
Et elle disparut en refermant la porte derrière elle.
Dans le couloir, elle s’arrêta pour écouter. Toujours les voix d’Emma et Arthur dans le salon.
« Pas mécontente qu’il m’ait trouvé une remplaçante », pensa-t-elle.
Elle plaqua son oreille contre la porte de Cathy. Aucun bruit. La pauvre devait être épuisée et avait dû s’endormir.
De retour dans sa chambre, elle essaya la première combinaison à cinq chiffres. 98784. Rien. Puis 98067, le cinquième des sept numéros tatoués.
Quand la dernière roulette se positionna sur le 7, ses oreilles frémirent. La barre d’acier s’éjecta de son emplacement d’un mouvement latéral. Le déclic se propagea dans tout son organisme.
L’étrange impression d’avoir déjà vécu cette scène.
Alors, elle eut soudain une envie enfantine de refermer le cadenas et d’ignorer ce qui venait de se produire. De se plonger dans son lit et de s’enfouir sous ses draps.
Elle regarda les jeux d’ombres sur le plafond, provoqués par les sapins dans le vent, puis se retourna vers le couloir.
Lorsqu’elle entendit craquer le mur du fond, elle crut mourir de peur.
Elle se concentra sur sa tâche.
Ses phalanges tremblantes chassèrent le cadenas de son emplacement. Elle poussa le loquet métallique. Ne restait plus qu’à soulever le couvercle. Et ouvrir la boîte de Pandore.
La peur d’un monstre aux griffes d’acier, lui tranchant soudain la carotide, la paralysa. Et s’il surgissait de là-dedans ?
« Tu es vraiment stupide, pensa-t-elle. Tu vas quand même pas t’y mettre aussi. »
Un léger grincement.
Elle était accroupie.
La terreur la fit vaciller.
L’image n’eut pas le temps de se figer dans son esprit.
Le cri ne traversa pas son larynx.
Elle se retourna, les yeux écarquillés, la bouche cherchant un oxygène qui n’arrivait plus.
Une crosse de fusil lui percuta l’arcade.
33.
Ce fut d’abord l’odeur de brûlé qui arracha David de son sommeil. Il décolla la joue du bureau, l’esprit embrumé, des battements à l’intérieur de son crâne. Dans un mouvement de panique, il se cogna violemment la main contre la machine à écrire.
Devant lui, des flammes, des formes, une silhouette repliée, presque immobile. Lorsque les pupilles de David se contractèrent, que le brouillard éthylique se dissipa, il distingua vaguement une femme maigre. Emma, assise sur le sol, une poubelle devant elle.
Du puits métallique s’élevait une faible lumière.
David secoua la tête, les paumes sur les tempes, s’assurant qu’il ne cauchemardait pas.
Non, la brune maigrichonne se trouvait bien là, à quelques mètres de lui. Elle brûlait des feuilles, la bouche serrée, les lèvres pincées, malgré les boursouflures. Des veines saillaient en racines puissantes sur son cou disproportionné. Elle avait passé son pull lacéré, ainsi que son jean trop large pour ses jambes squelettiques.
La pure réincarnation d’un monstre mythologique.
— Inutile de dire quoi que ce soit, prononça-t-elle d’une voix très dure, sans le regarder. Ce que vous avez fait est impardonnable.
Des boules de papier étaient disposées devant elle, les unes derrière les autres et régulièrement espacées, façon obsédée du détail inutile. À côté, une pile de feuilles.
— Ce que j’ai du mal à comprendre, c’est pourquoi vous vous en prenez à moi, même dans cet état pitoyable, ajouta- t-elle de cette même voix monocorde. Je vous ai fait quelque chose de mal ?
David se frotta les paupières. Les paroles d’Emma résonnaient douloureusement dans sa tête. L’horloge indiquait deux heures et quart du matin.
— Qu’est-ce que vous fichez ici... marmonna-t-il sans vraiment réussir à prendre un ton interrogatif. Vous allez... dégager, et vite fait...
Elle ne répondit pas. Un silence effrayant. Un vide spirituel d’où pouvait se libérer une violence inouïe.