« Tu n’as pas essayé, dit-elle. Trois fois seulement tu as passé l’Anneau à ton doigt depuis que sa vraie nature t’est connue. N’essaie pas ! Cela te détruirait. Gandalf n’a pu manquer de te dire que les anneaux confèrent un pouvoir à la mesure leur possesseur ? Avant de pouvoir user de ce pouvoir, il te faudrait devenir bien plus fort, et exercer ta volonté à la domination des autres. Mais même sans cela, comme tu es le Porteur de l’Anneau, comme tu l’as eu au doigt et que tu a vu ce qui est caché, ta vue est devenue plus pénétrante. Tu as perçu ma pensée avec plus d’acuité que bien d’autres qui sont considérés comme sages. Tu as vu l’Œil de celui qui détient les Sept et les Neuf. Et n’as-tu pas vu et reconnu l’anneau à mon doigt ? Toi, as-tu vu mon anneau ? » demanda-t-elle, se tournant de nouveau vers Sam.
« Non, madame, répondit-il. À vrai dire, je me demandais de quoi vous parliez. J’ai vu une étoile à travers vos doigts. Mais si vous permettez que je dise ce que je pense, je pense que mon maître avait raison. J’aimerais bien que vous preniez son Anneau. Vous remettriez les choses d’aplomb. Vous les empêcheriez d’aller déterrer l’Ancêtre et de le jeter hors de son trou. Vous feriez payer leur sale besogne à tout ce monde-là. »
« Oui, dit-elle. C’est ainsi que cela commencerait. Mais cela ne s’arrêterait pas là, hélas ! Nous n’en parlerons pas davantage. Partons ! »
8L’adieu à la Lórien
Ce soir-là, la Compagnie fut de nouveau conviée à la salle de Celeborn, et le Seigneur et la Dame les y accueillirent avec courtoisie. Enfin, Celeborn évoqua leur départ.
« Le temps est venu, dit-il, pour ceux qui désirent poursuivre la Quête, de s’endurcir afin de quitter ce pays. Ceux qui ne veulent plus continuer peuvent rester ici, pour un temps. Mais qu’il reste ou qu’il parte, nul n’a l’assurance d’être en paix. Car nous sommes à la veille du jour fatidique. Ici, ceux qui le désirent pourront attendre l’heure où, soit les chemins du monde s’ouvriront de nouveau à eux, soit nous les convoquerons en ultime recours pour la Lórien. Ils pourront alors regagner leurs propres terres ou se rendre au long séjour de ceux qui tombent au champ d’honneur. »
Il y eut un silence. « Ils ont tous résolu de continuer », dit Galadriel, scrutant leurs regards.
« En ce qui me concerne, dit Boromir, ma patrie est devant et non derrière moi. »
« Cela est vrai, dit Celeborn, mais toute cette Compagnie va-t-elle avec vous à Minas Tirith ? »
« Nous n’avons pas décidé de notre parcours, dit Aragorn. Après la Lothlórien, je ne sais ce que Gandalf entendait faire. En fait, je pense qu’il n’avait encore lui-même aucune intention claire. »
« Peut-être pas, dit Celeborn, mais quand vous quitterez ce pays, vous ne pourrez plus ignorer les eaux du Grand Fleuve. Comme certains d’entre vous le savent bien, elles ne sauraient être franchies par des voyageurs chargés de bagages entre la Lórien et le Gondor, hormis par bateau. Et les ponts d’Osgiliath ne sont-ils pas détruits, et tous les débarcadères tenus désormais par l’Ennemi ?
« De quel côté voyagerez-vous ? Le chemin de Minas Tirith se trouve de ce côté-ci, sur la rive ouest ; mais pour votre Quête, le chemin le plus court s’étend à l’est du Fleuve, sur la rive la plus sombre. Quelle rive prendrez-vous à présent ? »
« Si l’on tient compte de mon avis, ce sera la rive ouest et le chemin de Minas Tirith, répondit Boromir. Mais je ne suis pas le chef de la Compagnie. » Les autres ne dirent rien, et Aragorn eut l’air hésitant et troublé.
« Je vois que ne savez pas encore que faire, dit Celeborn. Il ne m’appartient pas de décider pour vous ; mais je vais vous aider à ma façon. Certains d’entre vous savent manœuvrer les bateaux : Legolas, dont les gens connaissent l’impétueuse Rivière de la Forêt, Boromir du Gondor, et Aragorn le voyageur. »
« Et un hobbit ! s’écria Merry. Ce ne sont pas tous nos semblables qui considèrent les bateaux comme des chevaux sauvages. Les gens de ma région habitent sur les rives du Brandivin. »
« Voilà qui est bien, dit Celeborn. Je vais donc pourvoir votre Compagnie de bateaux. Ils devront être petits et légers, car si vous voyagez loin sur l’eau, il y aura des endroits où vous serez forcés de les transporter. Vous parviendrez aux rapides de Sarn Gebir, et peut-être enfin aux grandes chutes du Rauros, où le Fleuve grondant se précipite du haut du Nen Hithoel ; et il y a d’autres dangers. Ces bateaux pourront rendre une partie de votre voyage moins épuisant. Toutefois, ils ne vous porteront pas conseil : au bout du compte, vous devrez leur tourner le dos, ainsi qu’au Fleuve, et partir vers l’ouest – ou vers l’est. »