Un auteur ne peut bien sûr rester totalement insensible à sa propre expérience, mais ce que le germe d’une histoire retire du terreau de l’expérience est extrêmement difficile à caractériser, et les tentatives visant à définir ce processus sont au mieux des hypothèses, fondées sur des données insuffisantes et ambiguës. Il est tout aussi fautif (quoique évidemment tentant) de supposer, quand la vie d’un auteur et celle d’un critique se recoupent, que les courants de pensée ou les événements de leur époque ont nécessairement été les influences les plus déterminantes. Certes, il faut avoir vécu dans l’ombre de la guerre pour vraiment saisir ce qu’elle a d’oppressant ; mais avec les années, on semble avoir oublié que le fait d’être happé, tout jeune, par 1914 n’était une expérience moins affreuse que d’être impliqué en 1939 et dans les années qui ont suivi. Quand la guerre a pris fin, en 1918, tous mes amis proches, sauf un, étaient morts. Ou, pour prendre un exemple moins douloureux : certains ont supposé que « Le nettoyage du Comté » reflète la situation en Angleterre au moment où je terminais mon récit. Rien n’est plus faux. C’est un élément essentiel de l’intrigue, prévu depuis le début, bien que transformé par le personnage de Saruman tel qu’il s’est développé dans l’histoire – sans qu’il n’y ait, faut-il le préciser, aucune intention allégorique ou allusion à la politique contemporaine. L’expérience n’y est pas totalement étrangère, il est vrai, mais le lien est ténu (car la situation économique était très différente) et remonte à bien plus loin. Je n’avais pas encore dix ans que la région où j’avais passé mon enfance était honteusement détruite, à une époque où les automobiles étaient encore des objets rares (je n’en avais jamais vu) et où les hommes construisaient encore des chemins de fer de banlieue. Récemment, j’ai vu dans un journal la photo de la décrépitude finale du moulin naguère prospère qui, il y a toutes ces années, me semblait si important à côté de son étang. Je n’ai jamais aimé l’allure du Jeune Meunier ; mais son père, le Vieux Meunier, portait une barbe noire, et il ne s’appelait pas Sablonnier.
Prologue
1. À propos des Hobbits
Ce livre est en grande partie consacré aux Hobbits, et le lecteur pourra découvrir dans ses pages une bonne part de leur caractère et un peu de leur histoire. D’autres informations se trouvent également dans l’extrait du Livre Rouge de la Marche-de-l’Ouest déjà publié sous le titre
Mais de nombreux lecteurs voudront peut-être, d’entrée de jeu, en savoir davantage au sujet de ce peuple remarquable, tandis que d’autres pourraient ne pas posséder le précédent livre. C’est pourquoi nous rassemblons ici quelques notes sur les points les plus importants, tirées de la tradition hobbite ; et nous rappelons brièvement la première aventure.