Cette époque, le Troisième Âge de la Terre du Milieu, est révolue depuis longtemps, et la forme des terres est aujourd’hui complètement changée ; mais les régions où vivaient alors les Hobbits étaient sans doute celles où ils subsistent encore de nos jours : le nord-ouest du Vieux Continent, à l’est de la Mer. De leur pays d’origine, les Hobbits du temps de Bilbo ne savaient plus rien. Le goût du savoir (autre que généalogique) était loin d’être répandu chez eux, bien qu’il y eût encore quelques individus des familles plus anciennes pour étudier leurs propres livres d’histoire, et même les relations de pays et d’époques reculés, qu’ils recueillaient auprès des Elfes, des Nains et des Hommes. Leurs propres archives ne commençaient qu’après la colonisation du Comté, et leurs plus anciennes légendes ne remontaient guère plus loin qu’à leurs Jours d’Errance. Il apparaît néanmoins, à la lumière de ces légendes et de ce que nous apprennent leurs vocables particuliers et leurs coutumes distinctives, que dans leur lointain passé, comme bien d’autres peuples, les Hobbits s’étaient déplacés vers l’ouest. Leurs contes les plus anciens semblent laisser entrevoir une époque où ils vivaient dans les vallées supérieures de l’Anduin, entre l’orée de Vertbois le Grand et les Montagnes de Brume. On ne sait plus aujourd’hui pourquoi ils ont entrepris la dure et périlleuse traversée des montagnes jusqu’en Eriador. Leurs propres récits faisaient état de la prolifération des Hommes dans le pays, et d’une ombre tombée sur la forêt, de sorte qu’elle s’enténébra et prit le nom de Grand’Peur.
Avant la traversée des montagnes, les Hobbits s’étaient déjà scindés en trois espèces quelque peu différentes : les Piévelus, les Fortauds et les Peaublêmes. Les Piévelus étaient plus bruns de peau, plus petits et plus courts, et ne portaient ni barbe, ni bottes ; leurs pieds et leurs mains étaient agiles et bien faits, et ils préféraient les montagnes et les collines. Les Fortauds étaient plus larges, plus robustes ; leurs pieds et leurs mains étaient plus massifs, et ils préféraient les plaines et le bord des rivières. Les Peaublêmes avaient le teint et les cheveux plus pâles, et ils étaient plus grands et minces que les autres ; ils aimaient les arbres et les terres boisées.
Les Piévelus côtoyaient beaucoup les Nains autrefois, et vécurent longtemps sur les contreforts des montagnes. Ils migrèrent très tôt vers l’ouest et parcoururent l’Eriador jusqu’à Montauvent, pendant que les autres habitaient encore la Contrée Sauvage. Cette variété était, sans aucun doute, la plus ordinaire et la plus représentative du peuple hobbit – et de loin la plus nombreuse. Les Piévelus étaient les plus enclins à s’établir en un lieu précis, et furent ceux qui conservèrent le plus longtemps leur habitude ancestrale d’habiter dans des tunnels et des trous.
Les Fortauds s’attardèrent longtemps sur les rives du Grand Fleuve Anduin, et se cachaient moins des Hommes. Ils passèrent à l’ouest des Montagnes après les Piévelus, suivant le cours de la Bruyandeau vers le sud ; et là, nombre d’entre eux vécurent longtemps entre Tharbad et les frontières de la Dunlande avant de remonter vers le nord.
Les Peaublêmes, les moins nombreux, étaient une branche nordique. Ils étaient en meilleurs termes avec les Elfes que ne l’étaient les autres Hobbits, plus doués pour les langues et les chansons que pour le travail manuel ; et autrefois, ils préféraient la chasse au labour. Traversant les montagnes au nord de Fendeval, ils descendirent la rivière Fongrège. En Eriador, ils se mêlèrent bientôt aux autres groupes qui les avaient précédés, mais comme ils étaient un peu plus hardis et aventureux, il n’était pas rare de les voir assumer un rôle de meneur ou de chef dans les clans de Piévelus ou de Fortauds. Même au temps de Bilbo, une forte ascendance peaublême se remarquait encore dans les grandes familles, notamment chez les Touc et les Maîtres du Pays-de-Bouc.
En Eriador, ces terres de l’ouest comprises entre les Montagnes de Brume et les Montagnes de Loune, les Hobbits trouvèrent tant des Hommes que des Elfes. En effet, il s’y trouvait encore quelques descendants des Dúnedain, les rois des Hommes de l’Occidentale ayant jadis traversé la Mer ; mais leur nombre diminuait rapidement, et les terres de leur Royaume du Nord devenaient partout désertes. Il y avait amplement assez de place pour accueillir de nouveaux venus, et les Hobbits ne tardèrent pas à s’établir en communautés ordonnées. Du temps de Bilbo, la plupart de leurs anciens établissements étaient disparus et oubliés depuis longtemps ; mais l’un des premiers à devenir un bourg d’importance subsistait encore, sans toutefois être aussi vaste que par le passé : il se trouvait à Brie et dans le Bois de Chètes tout autour, à quelque quarante milles à l’est du Comté.