Et, plongeant dans le lac, après nous être dévêtus, nous recommençâmes à jouer comme la veille indifférents en apparence à tout ce qui nous entourait.
La même ruse obtint le même succès. Au bout de quelques minutes, nous aperçûmes la fille sur la plate-forme rocheuse, sans l’avoir entendue venir. Elle n’était pas seule. Un homme se tenait auprès d’elle, un homme bâti comme nous, semblable aux hommes de la Terre, entièrement nu lui aussi, d’âge mûr, et dont certains traits rappelaient ceux de notre déesse, si bien que j’imaginai qu’il était son père. Il nous regardait comme elle le faisait, dans une attitude de perplexité et d’émoi.
Et il y en avait beaucoup d’autres. Nous les découvrîmes peu à peu, tandis que nous nous efforcions de conserver notre feinte indifférence. Ils sortaient furtivement de la forêt et formaient graduellement un cercle continu autour du lac. C’étaient tous de solides, de beaux échantillons d’humanité, hommes, femmes à la peau dorée, s’agitant maintenant, paraissant en proie à une grande surexcitation et émettant parfois de petits cris.
Nous étions cernés, et assez inquiets en nous rappelant l’incident du chimpanzé. Mais leur attitude n’était pas menaçante ; ils semblaient seulement intéressés, eux aussi, par nos évolutions.
C’était bien cela. Bientôt, Nova – Nova que je considérais déjà comme une vieille connaissance – se laissa glisser dans l’eau et les autres l’imitèrent peu à peu avec plus ou moins d’hésitation. Tous approchèrent et nous recommençâmes à nous poursuivre comme la veille à la manière des phoques, avec la différence qu’il y avait maintenant autour de nous une vingtaine de ces créatures étranges, barbotant, s’ébrouant, tous avec un visage sérieux marquant un singulier contraste avec ces enfantillages.
Au bout d’un quart d’heure de ce manège, je commençai à m’en lasser. Était-ce pour nous conduire comme des gamins que nous avions abordé l’univers de Bételgeuse ? J’avais presque honte de moi-même et j’étais peiné de constater que le savant Antelle semblait prendre beaucoup de plaisir à ce jeu. Mais que pouvions-nous faire d’autre ! On imagine mal la difficulté d’entrer en contact avec des êtres qui ignorent la parole et le sourire. Je m’y employai pourtant. J’esquissai des gestes qui avaient la prétention d’être significatifs. Je joignis les mains dans une attitude aussi amicale que possible, m’inclinant en même temps, un peu à la façon des Chinois. Je leur adressai des baisers avec la main. Aucune de ces manifestations n’éveilla le moindre écho. Aucune lueur de compréhension n’apparut dans leur prunelle.
Quand nous avions discuté, pendant le voyage, de nos rencontres éventuelles avec des êtres vivants, nous évoquions des créatures difformes, monstrueuses, d’un aspect physique très différent du nôtre, mais nous supposions toujours implicitement chez elles la présence de l’
Ils ne s’intéressaient qu’au jeu. Encore fallait-il que ce jeu fût bien stupide ! Ayant eu l’idée d’y introduire un semblant de cohérence, tout en restant à leur portée, nous nous prîmes tous trois par la main et, dans l’eau jusqu’à la ceinture, nous esquissâmes une ronde, élevant et abaissant les bras en cadence, comme auraient fait de très jeunes enfants. Ceci ne parut les toucher d’aucune manière. La plupart s’écartèrent de nous ; certains se mirent à nous contempler avec une absence de compréhension si évidente que nous restâmes nous-mêmes interloqués.
Et ce fut l’intensité de notre désarroi qui provoqua le drame. Nous étions si décontenancés de nous découvrir ainsi, trois hommes rassis dont l’un était une célébrité mondiale, nous tenant par la main, en train de danser une ronde enfantine sous l’oeil narquois de Bételgeuse, que nous ne pûmes garder notre sérieux. Nous avions subi une telle contrainte depuis un quart d’heure qu’une détente nous était nécessaire. Nous fûmes secoués par un éclat de rire insensé, qui nous tordit en deux pendant plusieurs secondes, sans que nous pussions le maîtriser.