Читаем La planète des singes полностью

Il avait parlé d’une voix étranglée par l’émotion, presque basse ; mais la jeune fille l’entendit et le son de la voix produisit chez elle un effet singulier. Elle eut un mouvement de recul subit, si preste que je le comparai encore au réflexe d’un animal effaré, hésitant avant de prendre la fuite. Elle s’arrêta toutefois, après avoir fait deux pas en arrière, les rochers cachant alors la plus grande partie de son corps. Je ne distinguais plus que le haut de son visage et un oeil qui nous épiait encore.

Nous n’osions faire un geste, torturés par la crainte de la voir s’enfuir. Notre attitude la rassura. Au bout d’un moment, elle s’avança de nouveau au bord de la plate-forme. Mais le jeune Levain était décidément bien trop surexcité pour pouvoir tenir sa langue.

« Jamais je n’ai vu…», commença-t-il.

Il s’arrêta, comprenant son imprudence. Elle s’était encore reculée de la même façon, comme si la voix humaine la terrifiait.

Le professeur Antelle nous fit signe de nous taire et se remit à barboter dans l’eau sans paraître lui accorder la moindre attention. Nous adoptâmes la même tactique, qui obtint un plein succès. Non seulement, elle s’approcha de nouveau, mais elle manifesta bientôt un intérêt visible pour nos évolutions, un intérêt qui s’exprimait d’une manière assez insolite, excitant davantage notre curiosité. Avez-vous jamais observé sur une plage un jeune chien craintif, dont le maître se baigne ? Il meurt d’envie de le rejoindre, mais n’ose pas. Il fait trois pas dans un sens, trois pas dans l’autre, s’éloigne, revient, secoue la tête, frétille. Tel était exactement le comportement de cette fille.

Et soudain, nous l’entendîmes ; mais les sons qu’elle proféra ajoutaient encore à l’impression d’animalité que donnait son attitude. Elle était alors à l’extrême limite de son perchoir, à croire qu’elle allait se précipiter dans le lac. Elle avait interrompu un instant son espèce de danse. Elle ouvrit la bouche. J’étais un peu à l’écart et pouvais l’observer sans être remarqué. Je pensais qu’elle allait parler, crier. J’attendais un appel. J’étais préparé au langage le plus barbare, mais non pas à ces sons étranges qui sortirent de sa gorge ; très précisément de sa gorge, car la bouche ni la langue n’avaient aucune part dans cet espèce de miaulement ou de piaulement aigu, qui semblait une fois de plus traduire la frénésie joyeuse d’un animal. Dans nos jardins zoologiques, parfois, les jeunes chimpanzés jouent et se bousculent en poussant de petits cris semblables.

Comme, interloqués, nous nous forcions à continuer de nager sans nous soucier d’elle, elle parut prendre un parti. Elle s’accroupit sur le rocher, prit appui sur ses mains et commença de descendre vers nous. Elle était d’une agilité singulière. Son corps doré se déplaçait rapidement le long de la paroi, nous apparaissant éclaboussé d’eau et de lumière, comme une vision féerique, à travers la mince lame transparente de la cascade. En quelques instants, s’accrochant à des saillies imperceptibles, elle fut au niveau du lac, à genoux sur une pierre plate. Elle nous observa encore quelques secondes, puis se mit à l’eau et nagea vers nous.

Nous comprîmes qu’elle voulait jouer et, sans nous être concertés, nous continuâmes avec ardeur des ébats qui l’avaient si bien mise en confiance, corrigeant nos façons dès qu’elle semblait effarouchée. Il en résulta, au bout de très peu de temps, un jeu dont elle avait inconsciemment établi les règles, jeu étrange en vérité, présentant quelque analogie avec les évolutions de phoques dans un bassin, qui consistait à nous fuir et à nous poursuivre alternativement, à bifurquer brusquement dès que nous nous sentions près d’être atteints et à nous rapprocher jusqu’à nous frôler sans jamais entrer en contact. C’était puéril ; mais que n’eussions-nous fait pour apprivoiser la belle inconnue ! Je remarquai que le professeur Antelle participait à ce batifolage avec un plaisir non dissimulé.

Cette séance durait depuis déjà longtemps, et nous commencions à nous essouffler, quand je fus frappé par un caractère paradoxal de la physionomie de cette fille : son sérieux. Elle était là, prenant un plaisir évident à ces amusements qu’elle inspirait, et jamais un sourire n’avait éclairé son visage. Cela me causait depuis un moment un malaise confus, dont la raison précise m’échappait et que je fus soulagé de découvrir : elle ne riait ni ne souriait ; elle émettait seulement de temps en temps un de ces petits cris de gorge qui devaient exprimer sa satisfaction. Je voulus tenter une expérience. Comme elle s’approchait de moi, fendant l’eau de sa nage particulière, qui ressemblait à celle des chiens, sa chevelure déployée derrière elle comme la queue d’une comète, je la regardai dans les yeux et, avant qu’elle eût le temps de se détourner, je lui décochai un sourire chargé de toute l’amabilité et de toute la tendresse dont j’étais capable.

Перейти на страницу:

Похожие книги