Читаем La planète des singes полностью

Il était habillé comme vous et moi, je veux dire comme nous serions habillés si nous participions à une de ces battues, organisées chez nous pour les ambassadeurs ou autres personnages importants, dans nos grandes chasses officielles. Son veston de couleur brune semblait sortir de chez le meilleur tailleur parisien et laissait voir une chemise à gros carreaux, comme en portent nos sportifs. La culotte, légèrement bouffante au-dessus des mollets, se prolongeait par une paire de guêtres. Là s’arrêtait la ressemblance ; au lieu de souliers, il portait de gros gants noirs.

C’était un gorille, vous dis-je ! Du col de la chemise sortait la hideuse tête terminée en pain de sucre, couverte de poils noirs, au nez aplati et aux mâchoires saillantes. Il était là, debout, un peu penché en avant, dans la posture du chasseur à l’affût, serrant un fusil dans ses longues mains. Il se tenait en face de moi, de l’autre côté d’une large trouée pratiquée dans la forêt perpendiculairement à la direction de la battue.

Soudain, il tressaillit. Il avait perçu comme moi un léger bruit dans les buissons, un peu sur ma droite. Il tourna la tête, en même temps qu’il relevait son arme, prêt à épauler. De mon perchoir, j’aperçus le sillage laissé dans la broussaille par un des fuyards, qui courait en aveugle droit devant lui. Je faillis crier pour l’alerter, tant l’intention du singe était évidente. Mais je n’en eus ni le temps ni la force ; déjà, l’homme déboulait comme un chevreuil sur le terrain découvert. Le coup de feu retentit alors qu’il atteignait le milieu du champ de tir. Il fit un saut, s’effondra et resta immobile après quelques convulsions.

Mais je n’observai l’agonie de la victime qu’un peu plus tard, mon attention ayant été encore retenue par le gorille. J’avais suivi l’altération de sa physionomie depuis qu’il était alerté par le bruit, et enregistré un certain nombre de nuances surprenantes : d’abord, la cruauté du chasseur qui guette sa proie et le plaisir fiévreux que lui procure cet exercice ; mais par-dessus tout le caractère humain de son expression. C’était bien là le motif essentiel de mon étonnement : dans la prunelle de cet animal brillait l’étincelle spirituelle que j’avais vainement cherchée chez les hommes de Soror.

La hantise de ma propre position étouffa bientôt ma stupeur première. La détonation me fit porter de nouveau le regard vers la victime et je fus le témoin terrifié de ses derniers soubresauts. Je m’aperçus alors avec épouvante que l’allée qui coupait la forêt était parsemée de corps humains. Il ne m’était plus possible de m’illusionner sur le sens de cette scène. J’apercevais un autre gorille semblable au premier à cent pas de là. J’assistais à une battue – j’y participais aussi, hélas ! – une battue fantastique où les chasseurs, postés à intervalles réguliers, étaient des singes et où le gibier traqué était constitué par des hommes, des femmes comme moi, des hommes et des femmes dont les cadavres nus, troués, tordus en des postures ridicules, ensanglantaient le sol.

Je détournai les yeux de cette horreur insoutenable. Je préférais encore la vue du simple grotesque et regardai de nouveau le gorille qui me barrait la route. Il avait fait un pas de côté, démasquant un autre singe qui se tenait derrière lui, comme un serviteur auprès de son maître. C’était un chimpanzé, un chimpanzé de petite taille, un jeune chimpanzé, me sembla-t-il, mais un chimpanzé, je le jure, vêtu avec moins de recherche que le gorille d’un pantalon et d’une chemise, qui jouait prestement son rôle dans l’organisation méticuleuse que je commençais à découvrir. Le chasseur venait de lui tendre son fusil. Le chimpanzé lui en passa un autre, qu’il tenait à la main. Puis, avec des gestes précis, utilisant les cartouches d’une ceinture qu’il portait autour de la taille et que les rayons de Bételgeuse faisaient étinceler, le petit singe rechargea l’arme. Ensuite, chacun reprit son poste.

Toutes ces impressions m’avaient affecté en quelques instants. J’aurais voulu réfléchir, analyser ces découvertes ; je n’en avais pas le temps. A mon côté, Arthur Levain, glacé de terreur, était incapable de m’apporter un secours quelconque. Le péril croissait à chaque seconde. Les rabatteurs approchaient derrière nous. Leur tapage devenait étourdissant. Nous étions forcés comme des bêtes sauvages, comme ces malheureuses créatures que je voyais encore passer autour de nous. La population de la cité devait être encore plus importante que je ne l’avais soupçonné, car beaucoup d’hommes déboulaient encore sur la piste, pour y trouver une mort affreuse.

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