« Une bouteille, oui. Je la vois distinctement. Elle est en verre clair. Elle est bouchée ; je vois le cachet. Il y a un objet blanc à l’intérieur… du papier, un manuscrit, sûrement. Jinn, il nous faut l’attraper ! »
C’était bien l’avis de Jinn, qui avait déjà commencé à effectuer des manoeuvres savantes pour se placer sur la trajectoire du corps insolite. Il y parvint rapidement et réduisit la vitesse de la sphère pour se laisser rattraper. Pendant ce temps, Phyllis revêtait son scaphandre et elle sortit de la voile par la double trappe. Là, se tenant d’une main à une corde, de l’autre brandissant une épuisette à long manche, elle s’apprêta à pêcher la bouteille.
Ce n’était pas la première fois qu’ils croisaient des corps étranges et l’épuisette avait déjà servi. Naviguant à petite allure, parfois complètement immobiles, ils avaient connu des surprises et fait des découvertes interdites aux voyageurs des fusées. Dans son filet, Phyllis avait déjà ramassé des débris de planètes pulvérisées, des fragments de météorites venus du fond de l’univers et des morceaux de satellites lancés au début de la conquête de l’espace. Elle était très fière de sa collection ; mais c’était la première fois qu’ils rencontraient une bouteille, et une bouteille contenant un manuscrit – de cela elle ne doutait plus. Tout son corps frémissait d’impatience, tandis qu’elle gesticulait comme une araignée au bout d’un fil, criant dans son téléphone à son compagnon :
« Plus lentement, Jinn… Non, un peu plus vite ; elle va nous dépasser ; à bâbord… à tribord… laisse aller… Je l’ai ! »
Elle poussa un cri de triomphe et rentra à bord avec sa prise.
C’était une bouteille de grande taille, dont le goulot avait été soigneusement scellé. On distinguait un rouleau de papier à l’intérieur.
« Jinn, casse-la, dépêche-toi ! » clama Phyllis en trépignant.
Plus calme, Jinn faisait voler les morceaux de cire avec méthode. Mais quand la bouteille fut ainsi ouverte, il s’aperçut que le papier, coincé, ne pouvait sortir. Il se résigna à céder aux supplications de son amie et brisa le verre d’un coup de marteau. Le papier se déroula de lui-même. Il se composait d’un grand nombre de feuillets très minces, couverts d’une écriture fine. Le manuscrit était écrit dans le langage de la Terre, que Jinn connaissait parfaitement, ayant fait une partie de ses études sur cette planète.
Un malaise le retenait pourtant de commencer à lire un document tombé entre leurs mains d’une manière si bizarre ; mais la surexcitation de Phyllis le décida. Elle comprenait mal, elle, le langage de la Terre et avait besoin de son aide.
« Jinn, je t’en supplie ! »
Il réduisit le volume de la sphère de façon qu’elle flottât mollement dans l’espace, s’assura qu’aucun obstacle ne se dressait devant eux, puis s’allongea auprès de son amie et commença à lire le manuscrit.
II
Je confie ce manuscrit à l’espace, non dans le dessein d’obtenir du secours, mais pour aider, peut-être, à conjurer l’épouvantable fléau qui menace la race humaine. Dieu ait pitié de nous… !
Pour moi, Ulysse Mérou, je suis reparti avec ma famille dans le vaisseau cosmique. Nous pouvons subsister pendant des années. Nous cultivons à bord des légumes, des fruits et nous élevons une basse-cour. Nous ne manquons de rien. Peut-être trouverons-nous un jour une planète hospitalière. C’est un souhait que j’ose à peine formuler. Mais voici, fidèlement rapporté, le récit de mon aventure.
C’est en l’an 2500 que je m’embarquai avec deux compagnons dans le vaisseau cosmique, avec l’intention d’atteindre la région de l’espace où trône en souveraine l’étoile supergéante Bételgeuse.
C’était un projet ambitieux, le plus vaste qui eut jamais été formé sur la Terre. Bételgeuse, alpha d’Orion, comme l’appelaient nos astronomes, se trouve à environ trois cents années-lumière de notre planète. Elle est remarquable par bien des points. D’abord, par sa taille : son diamètre mesure de trois cents à quatre cents fois celui de notre soleil, c’est-à-dire que si son centre était amené en coïncidence avec celui de cet astre, ce monstre s’étendrait jusqu’à l’orbite de Mars. Par son éclat : c’est une étoile de première grandeur, la plus brillante de la constellation d’Orion, visible de la Terre à l’oeil nu, malgré son éloignement. Par la nature de son rayonnement : elle émet des feux rouges et orange du plus magnifique effet. Enfin, c’est un astre d’éclat variable : sa luminosité varie avec le temps, ceci étant causé par des altérations de son diamètre. Bételgeuse est une étoile palpitante.