— Les gorilles, obligés de s’incliner devant l’opinion, feront entendre raison à ces imbéciles. Beaucoup sont tout de même un peu moins stupides que Zaïus ; et il y a aussi, parmi les savants, quelques rares chimpanzés que l’Académie a été obligée d’admettre à cause de leurs sensationnelles découvertes. L’un d’eux est Cornélius, mon fiancé. A lui, et à lui seul, j’ai déjà parlé de toi. Il m’a promis de s’employer en ta faveur. Bien entendu, il veut te voir auparavant et vérifier par lui-même le récit incroyable que je lui ai fait. C’est un peu pour cela que je t’ai amené ici aujourd’hui. J’ai rendez-vous avec lui et il ne devrait plus tarder. »
Cornélius nous attendait près d’un massif de fougères géantes. C’était un chimpanzé de belle allure, certainement plus âgé que Zira, mais extrêmement jeune pour un savant académicien. Dès que je l’aperçus, je fus frappé par un regard profond, d’une intensité et d’une vivacité exceptionnelles.
« Comment le trouves-tu ? » me demanda Zira en français, à voix basse.
Je connus à cette question que j’avais définitivement capté la confiance de cette guenon. Je murmurai une appréciation élogieuse et nous nous approchâmes.
Les deux fiancés s’étreignirent à la façon des amoureux du parc. Il lui avait ouvert ses bras sans m’accorder un regard. Malgré ce qu’elle lui avait dit de moi, il était évident que ma présence ne comptait pas davantage pour lui que celle d’un animal familier. Zira, elle-même, m’oublia un instant et ils échangèrent de longs baisers sur le museau. Puis elle tressaillit, se détacha vivement de lui et regarda de côté d’un air penaud.
« Chérie, nous sommes seuls.
— Je suis là, dis-je avec dignité, dans mon meilleur langage simien.
— Eh ! s’écria le chimpanzé en sursautant.
— Je dis : je suis là. Je me vois navré d’être obligé de vous le rappeler. Vos démonstrations ne me gênent pas, mais vous pourriez m’en vouloir par la suite.
— Par le diable !…» clama le savant chimpanzé. Zira prit le parti de rire et nous présenta.
« Le docteur Cornélius, de l’Académie, dit-elle, Ulysse Mérou, un habitant du système solaire, de la Terre, plus précisément.
— Je suis enchanté de faire votre connaissance, dis-je. Zira m’a parlé de vous. Je vous félicite d’avoir une fiancée aussi charmante. »
Et je lui tendis la main. Il fit un bond en arrière, comme si un serpent s’était dressé devant lui.
« C’était vrai ? murmura-t-il en regardant Zira d’un air égaré.
— Chéri, est-ce que j’ai l’habitude de te raconter des mensonges ? »
Il se ressaisit. C’était un homme de science. Après une hésitation, il me serra la main.
« Comment allez-vous ?
— Pas mal, dis-je. Encore une fois, je m’excuse d’être présenté dans cette tenue.
— Il ne pense qu’à cela, fit Zira en riant. C’est un complexe chez lui. Il ne se rend pas compte de l’effet qu’il produirait s’il était habillé.
— Et vous venez vraiment de… de… ?
— De la Terre, une planète du Soleil. »
Il n’avait certainement accordé que peu de crédit, jusqu’ici, aux confidences de Zira, préférant croire à quelque mystification. Il commença à me harceler de questions. Nous nous promenions à petits pas, eux marchant devant, bras dessus bras dessous, moi, suivant au bout de ma chaîne, pour ne pas attirer l’attention des quelques passants qui nous croisaient. Mais mes réponses excitaient sa curiosité scientifique à un degré tel qu’il s’arrêtait souvent, lâchait sa fiancée et nous nous mettions à discuter face à face avec de grands gestes, traçant des figures sur le sable de l’allée. Zira ne se fâchait pas. Elle paraissait au contraire enchantée de l’impression produite.
Cornélius se passionnait particulièrement, bien entendu, pour l’émergence de l’
Quoi qu’il en fût, je présentais à ses yeux un intérêt capital et il aurait donné sa fortune pour m’avoir dans son laboratoire. Nous parlâmes alors de ma situation actuelle et de Zaïus, dont il connaissait la stupidité et l’aveuglement. Il approuva le plan de Zira. Il allait, lui-même, s’occuper de préparer le terrain par des allusions au mystère de mon cas, en présence de quelques-uns de ses confrères.
Quand il nous quitta, il me tendit la main sans hésitation, après avoir vérifié que l’allée était déserte. Puis il embrassa sa fiancée et s’éloigna, non sans se retourner à plusieurs reprises, pour se convaincre que je n’étais pas une hallucination.
« Un charmant jeune singe, dis-je, comme nous revenions vers la voiture.