— Je n’ai rien entendu à ce sujet. Il a dû échapper à nos astronomes ; mais ne m’interromps pas constamment. Certains de nos savants ont émis l’hypothèse que l’engin vient d’une autre planète et qu’il était habité. Ils ne peuvent aller plus loin et imaginer que des êtres intelligents aient une forme humaine.
— Mais il faut le leur dire, Zira ! m’écriai-je. J’en ai assez de vivre prisonnier, même dans la plus confortable des cages, même soigné par toi. Pourquoi me caches-tu ? Pourquoi ne pas révéler la vérité à tous ? »
Zira s’arrêta, regarda autour de nous et posa la main sur mon bras.
« Pourquoi ? C’est uniquement dans ton intérêt que j’agis ainsi. Tu connais Zaïus ?
— Certes. Je voulais te parler de lui. Et alors ?
— As-tu remarqué l’effet produit sur lui par tes premiers essais de manifestation raisonnable ? Sais-tu que j’ai essayé cent fois de le sonder à ton sujet et de suggérer – oh ! avec quelle prudence ! – que tu n’étais peut-être pas une bête, malgré les apparences ?
— J’ai vu que vous aviez de longues discussions et que vous n’étiez pas d’accord.
— Il est têtu comme une mule et stupide comme un homme ! éclata Zira. Hélas ! c’est le cas de presque tous les orangs-outans. Il a décrété une fois pour toutes que tes talents s’expliquent par un instinct animal très développé, et rien ne le fera changer d’avis. Le malheur, c’est qu’il a déjà préparé une longue thèse sur ton cas, où il démontre que tu es
— Le stupide animal !
— Certes. Seulement, il représente la science officielle et il est puissant. C’est une des plus hautes autorités de l’Institut et tous mes rapports doivent passer par lui. J’ai acquis la conviction qu’il m’accuserait d’hérésie scientifique si j’essayais de révéler la vérité sur ton cas, comme tu le désires. Je serais renvoyée. Cela n’est rien, mais sais-tu alors ce qui pourrait t’advenir ?
— Quel sort est plus pitoyable que la vie dans une cage ?
— Ingrat ! Tu ne sais donc pas que j’ai dû déployer toute ma ruse pour l’empêcher de te faire transférer à la section encéphalique ? Rien ne pourrait le retenir si tu t’obstinais à prétendre être une créature consciente.
— Qu’est-ce que la section encéphalique ? demandai-je, alarmé.
— C’est là que nous pratiquons certaines opérations très délicates sur le cerveau : greffes ; recherche et altération des centres nerveux ; ablation partielle et même totale.
— Et vous faites ces expériences sur des hommes !
— Bien entendu. Le cerveau de l’homme, comme toute son anatomie, est celui qui se rapproche le plus du nôtre. C’est une chance que la nature ait mis à notre disposition un animal sur lequel nous pouvons étudier notre propre corps. L’homme nous sert à bien d’autres recherches, que tu connaîtras peu à peu… En ce moment même, nous exécutons une série extrêmement importante.
— Et qui nécessite un matériel humain considérable.
— Considérable. Cela explique ces battues que nous faisons faire dans la jungle pour nous réapprovisionner. Ce sont malheureusement des gorilles qui les organisent et nous ne pouvons les empêcher de se livrer à leur divertissement favori, qui est le tir au fusil. Un grand nombre de sujets sont ainsi perdus pour la science.
— Vraiment très regrettable, admis-je en pinçant les lèvres. Mais, pour en revenir à moi…
— Comprends-tu pourquoi j’ai tenu à garder le secret ?
— Suis-je donc condamné à passer le reste de ma vie dans une cage ?
— Non, si le plan que j’ai formé réussit. Mais il ne faut te démasquer qu’à bon escient et avec des atouts puissants. Voici ce que je te propose : dans un mois, se tiendra le congrès annuel des savants biologistes. C’est un événement considérable. Un large public y est admis et tous les représentants des grands journaux y assistent. Or l’opinion publique est chez nous un élément plus puissant que Zaïus, plus puissant que tous les orangs-outans réunis, plus puissant même que les gorilles. Ce sera là ta chance. C’est devant ce congrès, en pleine séance, qu’il te faut lever le voile ; car tu y seras présenté par Zaïus qui, je te l’ai dit, a préparé un long rapport sur toi et ton fameux instinct. Le mieux est alors que tu prennes la parole toi-même pour expliquer ton cas. La sensation créée sera telle que Zaïus ne pourra t’en empêcher. A toi de t’exprimer clairement devant l’assemblée et de convaincre la foule ainsi que les journalistes, comme tu m’as convaincue moi-même.
— Et si Zaïus et les orangs-outans s’entêtent ?