Читаем La planète des singes полностью

« Ils sont la science officielle, dit-elle. Tu l’as déjà constaté et tu auras bien d’autres occasions de le vérifier. Ils apprennent énormément de choses dans les livres. Ils sont tous décorés. Certains sont considérés comme des lumières dans une spécialité étroite, qui demande beaucoup de mémoire. Pour le reste…»

Elle eut un geste méprisant. Je n’insistai pas sur ce sujet, me réservant d’y revenir plus tard. Je la ramenai à des notions plus générales. Sur ma demande, elle me dessina l’arbre généalogique du singe, tel que les meilleurs spécialistes l’avaient reconstitué. Cela ressemblait beaucoup aux schémas qui représentent chez nous le processus évolutif. D’un tronc, qui se perdait à la base dans l’inconnu, diverses branches se détachaient successivement : des végétaux, des organismes unicellulaires, puis des coelentérés, des échinodermes ; plus haut, on arrivait aux poissons, aux reptiles et enfin aux mammifères. L’arbre se prolongeait avec une classe analogue à nos anthropoïdes. Là, un nouveau rameau se détachait, celui des hommes. Il s’arrêtait court, tandis que la tige centrale continuait à s’élever, donnant naissance à différentes espèces de singes préhistoriques aux noms barbares, pour aboutir finalement au simius sapiens, qui formait les trois pointes extrêmes de l’évolution : le chimpanzé, le gorille et l’orang-outan. C’était très clair.

« Le cerveau du singe, conclut Zira, s’est développé, compliqué et organisé, tandis que celui de l’homme n’a guère subi de transformation.

— Et pourquoi, Zira, le cerveau simien s’est-il ainsi développé ? »

Le langage avait certainement été un facteur essentiel. Mais pourquoi les singes parlaient-ils et pas les hommes ? Les opinions des savants divergeaient sur ce point. Certains voyaient là une mystérieuse intervention divine. D’autres soutenaient que l’esprit du singe tenait avant tout à ce qu’il possédait quatre mains agiles.

« Avec deux mains seulement, aux doigts courts et malhabiles, dit Zira, il est probable que l’homme a été handicapé dès sa naissance, incapable de progresser et d’acquérir une connaissance précise de l’univers. A cause de cela, il n’a jamais pu se servir d’un outil avec adresse… Oh ! il est possible qu’il ait essayé, maladroitement, autrefois… On a trouvé des vestiges curieux. Bien des recherches sont effectuées en ce moment même à ce sujet. Si ces questions t’intéressent, je te ferai rencontrer un jour Cornélius. Il est beaucoup plus qualifié que moi pour en discuter.

— Cornélius ?

— Mon fiancé, dit Zira en rougissant. Un très grand, un vrai savant.

— Un chimpanzé ?

— Bien sûr… Oui, conclut-elle, je suis, moi, de cet avis : le fait que nous soyons quadrumanes est un des facteurs les plus importants de notre évolution spirituelle. Cela nous a servi d’abord à nous élever dans les arbres, à concevoir ainsi les trois dimensions de l’espace, tandis que l’homme, cloué sur le sol par une malformation physique, s’endormait dans le plan. Le goût de l’outil nous est venu ensuite parce que nous avions la possibilité de nous en servir avec adresse. Les réalisations ont suivi et c’est ainsi que nous nous sommes haussés jusqu’à la sagesse. »

Sur la Terre, j’avais souvent entendu invoquer des arguments exactement opposés pour expliquer la supériorité de l’homme. Après réflexion, toutefois, le raisonnement de Zira ne me parut ni plus ni moins convaincant que le nôtre.

J’aurais bien voulu poursuivre cette conversation, et j’avais encore mille questions à poser, quand nous fûmes interrompus par Zoram et Zanam, qui apportaient le repas du soir. Zira me souhaita furtivement une bonne nuit et s’en alla.

Je restai dans ma cage, avec Nova pour seule compagnie. Nous avions fini de manger. Les gorilles s’étaient retirés après avoir éteint les lumières, sauf une à l’entrée, qui répandait une faible lueur. Je regardais Nova, en méditant sur ce que j’avais appris dans la journée. Il était manifeste qu’elle n’aimait pas Zira et qu’elle ressentait du dépit de ces entretiens. Au début, même, elle avait protesté à sa manière et tenté de s’interposer entre moi et la guenon, bondissant dans la cage, arrachant des poignées de paille et les jetant à la tête de l’intruse. J’avais dû employer la manière forte pour la faire tenir tranquille. Après avoir reçu quelques claques retentissantes sur sa croupe délicate, elle avait fini par se calmer. Je m’étais laissé aller à ces gestes brutaux presque sans réfléchir ; ensuite, j’en avais eu du remords, mais elle ne semblait pas m’en garder rancune.

L’effort intellectuel que j’avais fait pour assimiler les théories évolutionnistes simiennes me laissait déprimé. Je fus heureux quand je vis Nova s’approcher de moi dans la pénombre et solliciter à sa façon les caresses mi-humaines mi-animales dont nous avions peu à peu élaboré le code ; code singulier, dont le détail importe peu, fait de compromis et de concessions réciproques aux usages du monde civilisé et aux moeurs de cette humanité insolite qui peuplait la planète Soror.

III

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