Читаем La planète des singes полностью

L’affaire en serait sans doute restée là si le vieux Zaïus n’était apparu en cet instant, plus outrecuidant que jamais. Il était venu voir le résultat de ses expériences et il s’informa d’abord de moi, suivant son habitude. Zira fut bien obligée de le mettre au courant de mon caractère récalcitrant. Il parut fort mécontent, se promena pendant une minute les mains derrière le dos, puis donna des ordres impérieux. Zoram et Zanam ouvrirent ma cage, m’enlevèrent Nova et m’amenèrent à sa place une matrone d’âge mur. Ce cuistre de Zaïus, tout imprégné de méthode scientifique, décidait de tenter la même expérience avec un sujet différent.

Ce n’était pas là le pire et je ne pensais même plus à mon triste sort. Je suivais avec des yeux angoissés mon amie Nova. Je la vis avec horreur enfermée dans la cage d’en face, jetée en pâture à un homme aux larges épaules, une sorte de colosse à la poitrine velue, qui se mit aussitôt à danser en rond autour d’elle, commençant avec une ardeur frénétique la curieuse parade d’amour que j’ai décrite.

Dès que je m’aperçus du manège de cette brute, j’oubliai mes sages résolutions. Je perdis l’esprit et me conduisis une fois de plus comme un insensé. En vérité, j’étais littéralement fou de rage. Je hurlai, je ululai, à la manière des hommes de Soror. Je manifestai ma fureur comme eux, en me jetant contre les barreaux, les mordant, bavant, grinçant des dents, me comportant en résumé de la façon la plus bestiale.

Et le plus surprenant dans cet état, ce fut son résultat inattendu. En me voyant agir ainsi, Zaïus sourit. C’était la première marque de bienveillance qu’il m’accordait. Il avait enfin reconnu les manières des hommes et se retrouvait en terrain familier. Sa thèse triomphait. Il était même dans de si bonnes dispositions qu’il consentit, sur une remarque de Zira, à revenir sur ses ordres et à me donner une dernière chance. On m’enleva l’affreuse matrone et Nova me fut rendue, avant que la brute l’eût touchée. Le groupe des singes se recula alors et tous se mirent à m’épier à quelque distance.

Qu’ajouterai-je ? Ces émotions avaient brisé ma résistance. Je sentais que je ne pourrais supporter la vision de ma nymphe livrée à un autre homme. Je me résignai lâchement à la victoire de l’orang-outan, qui riait maintenant de son astuce. J’esquissai un pas de danse timide.

Oui ! moi, un des rois de la création, je commençai à tourner en cercle autour de ma belle. Moi, l’ultime chef-d’oeuvre d’une évolution millénaire, devant tous ces singes assemblés qui m’observaient avec avidité, devant un vieil orang-outan qui dictait des notes à sa secrétaire, devant un chimpanzé femelle qui souriait d’un air complaisant, devant deux gorilles ricanants, moi, un homme, invoquant l’excuse de circonstances cosmiques exceptionnelles, bien persuadé en cet instant qu’il existe plus de choses sur les planètes et dans le ciel que n’en a jamais rêvé la philosophie humaine, moi, Ulysse Mérou, j’entamai à la façon des paons, autour de la merveilleuse Nova, la parade de l’amour.

DEUXIEME PARTIE

I

Il me faut maintenant confesser que je m’adaptai avec une aisance remarquable aux conditions de vie dans ma cage. Au point de vue matériel, je vivais dans une félicité parfaite : dans la journée, les singes étaient aux petits soins pour moi ; la nuit, je partageais la litière d’une des plus belles filles du cosmos. Je m’accoutumai même si bien à cette situation que, pendant plus d’un mois, sans ressentir son extravagance ni ce qu’elle avait de dégradant, je ne fis aucune tentative sérieuse pour y mettre un terme. C’est à peine si j’appris quelques nouveaux mots du langage simien. Je ne poursuivis pas mes efforts pour entrer en communication avec Zira, de sorte que celle-ci, si elle avait eu un moment l’intuition de ma nature spirituelle, devait se laisser convaincre par Zaïus et me considérer comme un homme de sa planète, c’est-à-dire un animal ; un animal intelligent, peut-être, mais en aucune façon intellectuel.

Ma supériorité sur les autres prisonniers, que je ne poussais plus jusqu’au point d’effrayer les gardiens, faisait de moi le sujet brillant de l’établissement. Cette distinction, je l’avoue à ma honte, suffisait à mon ambition présente et même me remplissait d’orgueil. Zoram et Zanam me témoignaient de l’amitié, prenant plaisir à me voir sourire, rire et prononcer quelques mots. Après avoir épuisé avec moi tous les tests classiques, ils s’ingéniaient à en inventer d’autres, plus subtils, et nous nous réjouissions ensemble lorsque je trouvais la solution du problème. Ils ne manquaient jamais de m’apporter quelque friandise, que je partageais toujours avec Nova. Nous étions un couple privilégié. J’avais la fatuité de penser que ma compagne se rendait compte de tout ce qu’elle devait à mes talents et je passais une partie de mon temps à me rengorger devant elle.

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