A la fin, j’eus une inspiration. Au moment où le gorille agitait la cloche, je décrochai la pince qui établissait le contact électrique avec ma grille et rejetai le câble à l’extérieur. Alors, je ne lâchai pas les barreaux et restai sur place, pendant que l’autre gardien, qui n’avait pas remarqué mon manège, s’escrimait à tourner la manivelle de la magnéto devenue inoffensive.
J’étais très fier de cette initiative, qui devait être une preuve irréfutable de sagesse pour toute créature raisonnable. En fait, l’attitude de Zira me prouva qu’elle, au moins, était fortement ébranlée. Elle me regarda avec une intensité singulière et son museau blanc se teinta de rose, ce qui, je l’appris plus tard, est un signe d’émoi chez les chimpanzés. Mais il n’y avait rien à faire pour convaincre l’orang-outan. Ce diable de singe se mit de nouveau à hausser les épaules d’une manière très désagréable, et à secouer la tête avec énergie quand Zira lui parla. C’était un savant méthodique ; il ne voulait pas s’en laisser conter. Il donna d’autres instructions aux gorilles et l’on m’infligea un nouveau test, qui était une combinaison des deux premiers.
Je le connaissais aussi. Je l’avais vu pratiquer sur des chiens dans certains laboratoires. Il s’agissait de troubler le sujet, d’introduire de la confusion mentale dans son esprit en combinant deux réflexes. L’un des gorilles lança une série de coups de sifflet, son prometteur de récompense, pendant que l’autre agitait la cloche, qui annonçait une punition. Je me rappelai les conclusions d’un grand savant biologiste à propos d’une expérience semblable : il était possible, disait-il, en abusant ainsi un animal, de provoquer chez lui des désordres émotionnels rappelant d’une manière remarquable la névrose chez l’homme, parfois même de l’amener à la folie, en répétant assez souvent ces manoeuvres.
Je me gardai de tomber dans le piège ; mais, tendant ostensiblement l’oreille d’abord vers le sifflet, puis vers la cloche, je m’assis à égale distance des deux, le menton dans la main, dans l’attitude traditionnelle du penseur. Zira ne put s’empêcher de battre des mains. Zaïus sortit un mouchoir de sa poche et s’épongea le front.
Il transpirait, mais rien ne pouvait ébranler son stupide scepticisme. Je le vis bien à sa mine, après la véhémente discussion qu’il eut avec la guenon. Il dicta encore des notes à sa secrétaire, donna des instructions détaillées à Zira, qui les écouta d’un air peu satisfait, et finit par s’en aller après m’avoir lancé un dernier regard grognon.
Zira parla aux gorilles et je compris vite qu’elle leur donnait l’ordre de me laisser en paix, au moins pour le reste de la journée, car ils s’en allèrent avec leur matériel. Alors, restée seule, elle revint vers ma cage et m’examina de nouveau, en silence, pendant une longue minute. Puis, d’elle-même, elle me tendit la patte d’un geste amical. Je la saisis avec émotion, en murmurant doucement son nom. La rougeur qui colora son museau me révéla qu’elle était profondément touchée.
XVI
Zaïus revint quelques jours plus tard et sa visite fut le signal d’un bouleversement dans l’ordonnance de la salle. Mais il me faut d’abord conter comment, pendant ce laps de temps, je me distinguai encore aux yeux des singes.
Le lendemain de la première inspection de l’orang-outan, une avalanche de nouveaux tests s’était abattue sur nous ; le premier, à l’occasion du repas. Au lieu de déposer les aliments dans nos cages, comme ils le faisaient d’ordinaire, Zoram et Zanam, les deux gorilles dont j’avais fini par apprendre les noms, les hissèrent au plafond dans des paniers, au moyen d’un système de poulies dont les cages étaient munies. En même temps, ils placèrent quatre cubes en bois, d’assez gros volume, dans chaque cellule. Puis, s’étant reculés, ils nous observèrent.
C’était pitié de voir la mine déconfite de mes compagnons. Ils essayèrent de sauter, mais aucun ne put atteindre le panier. Certains grimpèrent le long des grilles, mais, parvenus au sommet, ils avaient beau étendre le bras, ils ne pouvaient saisir les aliments qui se trouvaient loin des parois. J’étais honteux de la sottise de ces hommes. Moi, est-il besoin de le mentionner, j’avais trouvé du premier coup la solution du problème. Il suffisait d’empiler les quatre cubes l’un sur l’autre, de se hisser sur cet échafaudage et de décrocher le panier. C’est ce que je fis, d’un air détaché qui dissimulait ma fierté. Ce n’était pas génial, mais je fus le seul à me montrer aussi subtil. L’admiration visible de Zoram et de Zanam m’alla droit au coeur.