C’était un orang-outan ; le premier de cette espèce que je voyais sur la planète Soror. Il était moins grand que les gorilles et assez voûté. Ses bras étaient relativement plus longs, de sorte qu’il marchait souvent en prenant appui sur ses mains, ce que les autres singes ne faisaient que rarement. Il me donnait ainsi l’impression bizarre de s’aider de deux cannes. La tête ornée de longs poils fauves enfoncée dans les épaules, le visage figé dans un air de méditation pédante, il m’apparut comme un vieux pontife, vénérable et solennel. Son costume tranchait aussi sur celui des autres : une longue redingote noire, dont le revers s’ornait d’une étoile rouge, et un pantalon rayé blanc et noir, le tout assez poussiéreux.
Une guenon chimpanzé de petite taille le suivait, portant une lourde serviette. D’après son attitude, elle devait être sa secrétaire. On ne s’étonne plus, je pense, de me voir signaler à chaque instant des attitudes et des expressions significatives chez ces singes. Je jure que tout être raisonnable eût conclu comme moi, à la vue de ce couple, qu’il s’agissait d’un savant chevronné et de son humble secrétaire. Leur arrivée fut l’occasion pour moi de constater une fois de plus le sens de la hiérarchie qui semblait exister chez les singes. Zira témoignait au grand patron un respect évident. Les deux gorilles se portèrent à sa rencontre dès qu’ils l’aperçurent et le saluèrent très bas. L’orang-outan leur fit un petit signe condescendant de la main.
Ils se dirigèrent tout droit vers ma cage. N’étais-je pas le sujet le plus intéressant du lot ? J’accueillis l’autorité avec mon sourire le plus amical et en lui parlant sur un ton emphatique.
« Cher orang-outan, dis-je, combien je suis heureux d’être enfin en présence d’une créature qui respire la sagesse et l’intelligence ! Je suis sûr que nous allons nous entendre, toi et moi. »
Le cher vieillard avait tressauté au son de ma voix. Il se gratta longuement l’oreille, tandis que son oeil soupçonneux inspectait la cage, comme s’il flairait une supercherie. Zira prit alors la parole, son cahier à la main, relisant les notes prises à mon sujet. Elle insistait, mais il était manifeste que l’orang-outan refusait de se laisser convaincre. Il prononça deux ou trois sentences d’allure pompeuse, haussa plusieurs fois les épaules, secoua la tête, puis mit les mains derrière son dos et entreprit une promenade dans le couloir, passant et repassant devant ma cage en me lançant des coups d’oeil assez peu bienveillants. Les autres singes attendaient ses décisions dans un silence respectueux.
Un respect apparent tout au moins, et qui me parut peu réel lorsque je surpris un signe furtif d’un gorille à l’autre, sur le sens duquel il était difficile de se tromper : ils se payaient la tête du patron. Ceci, joint au dépit que je ressentais de son attitude à mon égard, m’inspira l’idée de lui jouer une petite scène propre à le convaincre de mon esprit. Je me mis à arpenter la cage en long et en large, imitant son allure, le dos voûté, les mains derrière le dos, les sourcils froncés avec un air de profonde méditation.
Les gorilles s’étouffèrent à force de rire et Zira, elle-même, ne put garder son sérieux. Quant à la secrétaire, elle fut obligée de plonger le museau dans sa serviette pour dissimuler son hilarité. Je me félicitai de ma démonstration, jusqu’au moment où je m’aperçus qu’elle était dangereuse. Remarquant ma mimique, l’orang en conçut un violent dépit et prononça d’une voix sèche quelques paroles sévères qui rétablirent immédiatement l’ordre. Alors, il s’arrêta en face de moi et entreprit de dicter ses observations à sa secrétaire.
Il dictait depuis fort longtemps, ponctuant ses phrases de gestes pompeux. Je commençais à en avoir assez de son aveuglement et résolus de lui donner une nouvelle preuve de mes capacités. Tendant le bras vers lui, je prononçai, en m’appliquant de mon mieux :
« Mi Zaïus. »
J’avais remarqué que tous les subalternes s’adressant à lui commençaient par ces mots. Zaïus, je l’appris par la suite, était le nom du pontife ; mi, un titre honorifique.
Les singes furent médusés. Ils n’avaient plus du tout envie de rire, en particulier Zira, qui me parut extrêmement troublée, surtout lorsque j’ajoutai, en pointant un doigt vers elle : Zira, nom que j’avais également retenu et qui ne pouvait être que le sien. Quant à Zaïus, il fut en proie à une grande nervosité et se remit à arpenter le couloir, secouant de nouveau la tête d’un air incrédule.
Enfin calmé, il donna l’ordre de me faire subir devant lui les tests que l’on m’imposait depuis la veille. Je m’exécutai facilement. Je salivai au premier coup de sifflet. Je bondis en arrière au son de la cloche. Il me fit recommencer dix fois cette dernière opération, dictant à sa secrétaire d’interminables commentaires.