C’était bien un spectacle. Il s’agissait pour eux de s’attirer les bonnes grâces des petits singes qui entouraient la cage, leur jetant de temps en temps des fruits ou des morceaux de gâteaux qu’une vieille guenon vendait à l’entrée du jardin. C’était à celui des hommes, adultes aussi bien qu’enfants, qui réussirait le meilleur tour – escalade des grilles, marche à quatre pattes, marche sur les mains – pour obtenir la récompense et, quand celle-ci tombait au milieu d’un groupe, il y avait des bourrades, des coups d’ongles et des cheveux arrachés ; le tout ponctué de cris aigus d’animaux en colère.
Certains hommes, plus rassis, ne participaient pas au tumulte. Ils se tenaient à l’écart, près des grilles et, quand ils voyaient un bambin singe plonger les doigts dans un sac, ils tendaient vers lui une main implorante. Celui-ci, s’il était jeune, reculait souvent, effrayé ; mais ses parents ou ses amis plus âgés se moquaient de lui, jusqu’à ce qu’il se décidât en tremblant à donner la récompense de la main à la main.
L’apparition d’un homme hors de la cage provoqua quelque étonnement, aussi bien parmi les prisonniers que dans l’assistance simienne. Les premiers interrompirent un moment leurs gambades pour m’examiner avec suspicion, mais comme je me tenais coi, refusant avec dignité les aumônes que les gamins faisaient mine de me tendre, les uns et les autres se désintéressèrent de moi et je pus observer tout à mon aise. La veulerie de ces créatures m’écoeurait et je me sentais rougir de honte en constatant une fois de plus combien elles me ressemblaient physiquement. Les autres cages offraient les mêmes exhibitions dégradantes. J’allais me laisser entraîner par Zira, la mort dans l’âme, quand, soudain, j’étouffai à grand-peine un cri de surprise. Là, devant moi, parmi le troupeau, c’était bien lui, mon compagnon de voyage, le chef et l’âme de notre expédition, le fameux professeur Antelle. Il avait été capturé comme moi et, moins heureux probablement, vendu au Zoo.
Ma joie de le savoir vivant et de le retrouver fut telle que des larmes me montèrent aux yeux ; puis, je frémis devant la condition à laquelle ce grand savant était réduit. Mon émotion se transforma peu à peu en une stupeur douloureuse quand je m’aperçus que son comportement était exactement le même que celui des autres hommes. J’étais bien obligé de croire le témoignage de mes yeux, malgré l’invraisemblance de cette conduite. Il faisait partie, lui, de ces sages qui ne se mêlaient pas aux bagarres mais tendaient la main à travers les barreaux, avec une grimace de mendiant. Je l’observai alors qu’il était en train d’agir et rien dans son attitude ne laissait percevoir sa véritable nature. Un petit singe lui donna un fruit. Le savant le prit, s’assit, les jambes croisées, et commença à le dévorer gloutonnement, regardant son bienfaiteur d’un oeil avide, comme s’il en espérait un autre geste généreux. Je pleurai de nouveau à cette vue. A voix basse, j’expliquai à Zira les motifs de mon trouble. J’aurais voulu m’approcher et lui parler, mais elle m’en dissuada avec énergie. Je ne pouvais rien faire pour lui actuellement et, dans l’émotion de nous retrouver, nous risquions de causer un scandale préjudiciable à nos intérêts communs, qui pourrait fort bien ruiner mes propres plans.
« Après le congrès, me dit-elle, quand tu auras été reconnu et accepté comme un être raisonnable, nous nous occuperons de lui. »
Elle avait raison et je me laissai entraîner à regret. Tandis que nous regagnions la voiture, je lui expliquai qui était le professeur Antelle et la réputation qu’il avait sur la Terre et dans le monde savant. Elle resta longtemps songeuse et me promit de s’employer à le tirer du Zoo. Elle me ramena un peu réconforté à l’Institut ; mais, ce soir-là, je refusai la nourriture que m’apportaient les gorilles.
VII
La semaine qui précéda le congrès, Zaïus me fit de nombreuses visites, multipliant les tests saugrenus ; sa secrétaire emplit plusieurs cahiers d’observations et de conclusions me concernant. Je m’appliquai hypocritement à ne pas paraître plus malin qu’il ne le désirait.
La date tant attendue arriva enfin, mais ce fut seulement le troisième jour du congrès qu’on vint me chercher, les singes s’affrontant d’abord en des débats théoriques. J’étais tenu au courant de leurs travaux par Zira. Zaïus avait déjà lu un long rapport à mon sujet, me présentant comme un homme aux instincts particulièrement aiguisés, mais concluant à une absence totale de conscience. Cornélius lui posa quelques questions perfides, pour savoir comment il expliquait dans ce cas certains traits de ma conduite. Ceci ranima de vieilles querelles et la dernière discussion avait été assez houleuse.