Au mois de mai de l’année 1786, un homme attendait au milieu des pauvres sur les degrés du portail de Saint-Paul, rue Saint-Antoine. Il était inquiet, haletant, il regardait, sans pouvoir en détacher les yeux, dans la direction de la Bastille.
Auprès de lui vint se placer un homme à longue barbe, un des serviteurs allemands de Cagliostro, celui que Balsamo employait comme chambellan dans ses mystérieuses réceptions de l’ancienne maison de la rue Saint-Claude.
Cet homme arrêta la fougue impatiente de Beausire, et lui dit tout bas:
– Attendez, attendez, ils viendront.
– Ah! s’écria l’homme inquiet, c’est vous!
Et comme le
– Monsieur Beausire, vous allez tant faire de bruit que la police nous verra… Mon maître vous avait promis des nouvelles, je vous en donne.
– Donnez! donnez, mon ami!
– Plus bas. La mère et l’enfant se portent bien.
– Oh! oh! s’écria Beausire dans un transport de joie impossible à décrire, elle est accouchée! elle est sauvée!
– Oui, monsieur; mais tirez à l’écart, je vous prie.
– D’une fille?
– Non, monsieur, d’un garçon.
– Tant mieux! Oh! mon ami, que je suis heureux, que je suis heureux. Remerciez bien votre maître; dites-lui bien que ma vie, que tout ce que j’ai est à lui…
– Oui, monsieur Beausire, oui, je lui dirai cela quand je le verrai.
– Mon ami, pourquoi me disiez-vous tout à l’heure?… Mais prenez donc ces deux louis.
– Monsieur, je n’accepte rien que de mon maître.
– Ah! pardon, je ne voulais pas vous offenser.
– Je le crois, monsieur. Mais vous me disiez?
– Ah! je vous demandais pourquoi, tout à l’heure, vous vous êtes écrié: Ils viendront? Qui viendra, s’il vous plaît?
– Je voulais parler du chirurgien de la Bastille et de la dame Chopin, sage-femme, qui ont accouché mademoiselle Oliva.
– Ils viendront ici? Pourquoi?
– Pour faire baptiser l’enfant.
– Je vais voir mon enfant! s’écria Beausire en bondissant comme un convulsionnaire. Vous dites que je vais voir le fils d’Oliva! ici, tout à l’heure?…
– Ici, tout à l’heure; mais modérez-vous, je vous en supplie; autrement, les deux ou trois agents de monsieur de Crosne, que je devine être cachés sous les haillons de ces mendiants, vous découvriront et devineront que vous avez eu communication avec le prisonnier de la Bastille. Vous vous perdrez et vous compromettrez mon maître.
– Oh! s’écria Beausire avec la religion du respect et de la reconnaissance, plutôt mourir que de prononcer une syllabe qui nuise à mon bienfaiteur. J’étoufferai, s’il le faut, mais je ne dirai plus rien. Ils ne viennent pas!…
– Patience.
Beausire se rapprocha de l’Allemand.
– Est-elle un peu heureuse, là-bas? demanda-t-il en joignant les mains.
– Parfaitement heureuse, répondit l’autre. Oh! voici un fiacre qui vient.
– Oui, oui.
– Il s’arrête…
– Il y a du blanc, de la dentelle…
– La tavaïolle de l’enfant.
– Mon Dieu!
Et Beausire fut obligé de s’appuyer sur une colonne pour ne pas chanceler, quand il vit sortir du fiacre la sage-femme, le chirurgien et un porte-clefs de la Bastille, faisant l’office de témoins dans cette rencontre.
Au passage de ces trois personnes, les pauvres s’émurent et nasillèrent leurs lamentables réclamations.
On vit alors, chose étrange, le parrain et la marraine passer en coudoyant ces misérables, tandis qu’un étranger leur distribuait sa monnaie et ses écus en pleurant de joie.
Puis, le petit cortège étant entré dans l’église, Beausire entra derrière et vint, avec les prêtres et les fidèles curieux, chercher la meilleure place de la sacristie où allait s’accomplir le sacrement du baptême.
Le prêtre reconnaissant la sage-femme et le chirurgien, qui plusieurs fois déjà avaient eu recours à son ministère pour des circonstances pareilles, leur fit un petit salut amical, accompagné d’un sourire.
Beausire salua et sourit avec le prêtre.
La porte de la sacristie se ferma alors, et le prêtre, prenant sa plume, commença d’écrire sur son registre les phrases sacramentelles qui constituent l’acte d’enregistrement.
Lorsqu’il en vint à demander le nom et les prénoms de l’enfant:
– C’est un garçon, dit le chirurgien, voilà tout ce que je sais.
Et quatre éclats de rire ponctuèrent ce mot, qui ne parut pas assez respectueux à Beausire.
– Il a bien un nom quelconque, fût-ce un nom de saint, ajouta le prêtre.
– Oui, la demoiselle a voulu qu’on l’appelât Toussaint.
– Ils y sont tous, alors! répliqua le prêtre en riant de son jeu de mots, ce qui emplit la sacristie d’une hilarité nouvelle.
Beausire commençait à perdre patience, mais la sage influence de l’Allemand le maintenait encore. Il se contint.
– Eh bien! dit le prêtre, avec ce prénom-là, avec tous saints pour patrons, on peut se passer de père. Écrivons: «Aujourd’hui, nous a été présenté un enfant du sexe masculin, né hier, à la Bastille, fils de Nicole-Oliva Legay et de… père inconnu.»
Beausire s’élança furieux aux côtés du prêtre, et lui retenant le poignet avec force: