Читаем Le compte de Monte-Cristo Tome II полностью

«Oh! monsieur, dit-elle, pourquoi donc êtes-vous venu si tard aujourd’hui? Savez-vous que l’on va dîner bientôt, et qu’il m’a fallu bien de la diplomatie et bien de la promptitude pour me débarrasser de ma belle-mère, qui m’épie, de ma femme de chambre qui m’espionne, et de mon frère qui me tourmente pour venir travailler ici à cette broderie, qui, j’en ai bien peur, ne sera pas finie de longtemps? Puis, quand vous vous serez excusé sur votre retard, vous me direz quel est ce nouveau costume qu’il vous a plu d’adopter et qui presque a été cause que je ne vous ai pas reconnu.

– Chère Valentine, dit le jeune homme, vous êtes trop au-dessus de mon amour pour que j’ose vous en parler, et cependant, toutes les fois que je vous vois, j’ai besoin de vous dire que je vous adore, afin que l’écho de mes propres paroles me caresse doucement le cœur lorsque je ne vous vois plus. Maintenant je vous remercie de votre gronderie: elle est toute charmante, car elle me prouve, je n’ose pas dire que vous m’attendiez, mais que vous pensiez à moi. Vous vouliez savoir la cause de mon retard et le motif de mon déguisement; je vais vous les dire, et j’espère que vous les excuserez: j’ai fait choix d’un état…

– D’un état!… Que voulez-vous dire, Maximilien? Et sommes-nous donc assez heureux pour que vous parliez de ce qui nous regarde en plaisantant?

– Oh! Dieu me préserve, dit le jeune homme, de plaisanter avec ce qui est ma vie; mais fatigué d’être un coureur de champs et un escaladeur de murailles, sérieusement effrayé de l’idée que vous me fîtes naître l’autre soir que votre père me ferait juger un jour comme voleur, ce qui compromettrait l’honneur de l’armée française tout entière, non moins effrayé de la possibilité que l’on s’étonne de voir éternellement tourner autour de ce terrain, où il n’y a pas la plus petite citadelle à assiéger ou le plus petit blockhaus à défendre, un capitaine de spahis, je me suis fait maraîcher, et j’ai adopté le costume de ma profession.

– Bon, quelle folie!

– C’est au contraire la chose la plus sage, je crois, que j’aie faite de ma vie, car elle nous donne toute sécurité.

– Voyons, expliquez-vous.

– Eh bien, j’ai été trouver le propriétaire de cet enclos; le bail avec les anciens locataires était fini, et je le lui ai loué à nouveau. Toute cette luzerne que vous voyez m’appartient, Valentine; rien ne m’empêche de me faire bâtir une cabane dans les foins et de vivre désormais à vingt pas de vous. Oh! ma joie et mon bonheur, je ne puis les contenir. Comprenez-vous, Valentine, que l’on parvienne à payer ces choses-là? C’est impossible, n’est-ce pas? Eh bien, toute cette félicité, tout ce bonheur, toute cette joie, pour lesquels j’eusse donné dix ans de ma vie, me coûtent, devinez combien?… Cinq cents francs par an, payables par trimestre. Ainsi, vous le voyez, désormais plus rien à craindre. Je suis ici chez moi, je puis mettre des échelles contre mon mur et regarder pardessus, et j’ai, sans crainte qu’une patrouille vienne me déranger, le droit de vous dire que je vous aime, tant que votre fierté ne se blessera pas d’entendre sortir ce mot de la bouche d’un pauvre journalier vêtu d’une blouse et coiffé d’une casquette.»

Valentine poussa un petit cri de surprise joyeuse; puis tout à coup:

«Hélas, Maximilien, dit-elle tristement et comme si un nuage jaloux était soudain venu voiler le rayon de soleil qui illuminait son cœur, maintenant nous serons trop libres, notre bonheur nous fera tenter Dieu; nous abuserons de notre sécurité, et notre sécurité nous perdra.

– Pouvez-vous me dire cela, mon amie, à moi qui, depuis que je vous connais, vous prouve chaque jour que j’ai subordonné mes pensées et ma vie à votre vie et à vos pensées? Qui vous a donné confiance en moi? mon bonheur, n’est-ce pas? Quand vous m’avez dit qu’un vague instinct vous assurait que vous couriez quelque grand danger, j’ai mis mon dévouement à votre service, sans vous demander d’autre récompense que le bonheur de vous servir. Depuis ce temps, vous ai-je, par un mot, par un signe, donné l’occasion de vous repentir de m’avoir distingué au milieu de ceux qui eussent été heureux de mourir pour vous? Vous m’avez dit, pauvre enfant, que vous étiez fiancée à M. d’Épinay, que votre père avait décidé cette alliance, c’est-à-dire qu’elle était certaine, car tout ce que veut M. de Villefort arrive infailliblement. Eh bien, je suis resté dans l’ombre, attendant tout, non pas de ma volonté, non pas de la vôtre, mais des événements, de la Providence, de Dieu, et cependant vous m’aimez, vous avez eu pitié de moi, Valentine, et vous me l’avez dit; merci pour cette douce parole que je ne vous demande que de me répéter de temps en temps, et qui me fera tout oublier.

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