Ils étaient convenus d'un rendez-vous pour le mystérieux « ami » et, depuis ce jour, le petit homme en alpaga noir, tiré à quatre épingles, arrivait ponctuellement dans le cabinet du docteur à dix heures du matin. Dès la première séance, Schwobb avait tenu à mettre les choses au point :
« L'hypnose est une thérapeutique et, comme telle, elle est dangereuse. Avant de commencer quoi que ce soit, je voudrais savoir à quel usage vous destinez les connaissances que vous désirez acquérir. »
Très simplement, l'autre avait répondu :
« C'est pour une femme.
— Vous voulez enseigner l'hypnose à une femme?
— Pas du tout. Je voudrais séduire une femme grâce à l'hypnose. »
Schwobb avait senti les bras lui en tomber :
« Mais monsieur!… »
Il aurait voulu lui dire qu'il n'était pas un spécialiste du courrier du cœur, mais un médecin pratiquant : M. Smith — tel était en tout cas le nom que Herbert lui avait fourni — ne lui en avait pas laissé le temps :
« Peut-être n'êtes-vous pas d'accord sur le montant de vos honoraires? Voyons… Le professeur Herbert m'a bien parlé de mille dollars la séance? »
Vaincu par cet irrésistible argument, Schwobb avait rétorqué :
« Très bien, commençons tout de suite. »
Après tout, l'argent ne courait pas les rues, et, en dehors des chirurgiens esthétiques et des cardiologues mondains, qui pouvait se vanter de pratiquer à de tels tarifs? Maintenant, il regrettait presque d'avoir accepté ce pactole. Pour que son client assimile parfaitement l'essence même de l'hypnose, Schwobb, à plusieurs reprises, avait tenté de l'endormir : rien à faire! Une force inadmissible émanant de sa personne avait vite prouvé au praticien que son client était rebelle à toute forme de persuasion : à aucun moment, il n'avait pu provoquer le plus petit début de transe. Une seconde personnalité semblait veiller en lui, suppléant à le première malgré son évidente bonne volonté de se prêter à l'expérience. L'idée avait même effleuré Schwobb que ce type était un spécialiste, que son collègue Herbert avait voulu le mystifier, lui faire une mauvaise blague. Pourtant, des blagues à ce prix-là… A la fin de chaque séance, l'élève tendait à son maître, discrètement plié dans la paume de sa main, un billet de mille dollars. Ce billet, aujourd'hui, Schwobb ne pouvait plus l'accepter. Après huit tentatives vaines, il décida d'avouer franchement son échec :
« Écoutez… Il faut que je vous dise… Je renonce. »
Smith leva sur lui des yeux étonnés :
« Pourquoi?
— Je n'ai aucun pouvoir sur vous.
— Mais docteur… vous inversez les rôles. Je ne suis pas là pour que vous m'endormiez, mais pour que vous m'appreniez à endormir les autres. Enfin… l'autre… De combien de leçons ai-je encore besoin pour arriver à ce résultat? »
Schwobb eut un geste d'impuissance :
« Entre nous, monsieur… Smith… Pensez-vous que vous ayez réellement besoin des secours de l'hypnose pour séduire qui que ce soit?
— Si cela n'était pas, docteur, que ferais-je ici? »
Schwobb se racla la gorge :
« Vous avez pourtant une remarquable force intérieure.
— En certaines occasions, disons… professionnelles, c'est possible. Mais dans ma vie privée… »
Le toubib eut un imperceptible sourire : son patient n'avait pas l'air d'avoir compris que la richesse de la vie privée était complètement assujettie à la fortune. Comment pouvait-on paraître si puissant et perdre son temps à de tels enfantillages? D'une voix douce :
« Si je comprends bien, vous voulez obliger, grâce à l'hypnose, une femme à vous aimer?
— Ne rêvons pas! Ce que j'attends de vous, c'est que vous me donniez quelque chose dans le regard qui l'oblige à me voir, qui la force à poser les yeux sur moi. C'est tout ce que je demande. Le reste, j'en fais mon affaire. »
Schwobb s'abîma dans un silence. Ce désarroi avoué le regonflait, lui rendait vis-à-vis de son bizarre élève une partie de l'assurance qu'il avait perdue à son contact. D'un ton plus ferme, il lança :
« Parfait! Eh bien, nous allons parer au plus pressé! Je vais vous donner quelques trucs pratiques qui vous rendront maître de la situation… »
L'autre leva un doigt interrogateur. Coupé dans son envolée, Schwobb fut obligé de s'interrompre :
« Oui?… Je vous écoute… dit-il avec agacement.
— N'oubliez pas que si elle ne me voit pas…
— Je sais… Je sais! Enfin, vous n'avez pas six ans! Il y a tellement de choses à faire pour capter l'attention!
— La sienne est déjà très sollicitée.
— Allons! Vous savez très bien que vous n'avez jamais rien essayé. Ne me dites pas que si vous lui passez devant avec un régime de bananes sur la tête, elle ne vous verra pas! »
Schwobb gloussa tout seul de sa plaisanterie : l'autre resta de marbre.
« Écoutez cher ami, je suis certain que vous n'aurez pas à vous donner autant de peine. Ça ira tout seul! Il n'y a pas que les yeux qui comptent, il y a la voix, l'intonation, les gestes! Franchement, entre hommes, qu'attendez-vous d'elle? Souhaitez-vous l'épouser? »
Le Grec eut un ricanement désabusé :
« Non. Personne ne l'épousera jamais…
— Vous voulez peut-être en faire votre maîtresse?