« Il est trop tard, madame, pour suivre les Capitaines, même si vous en aviez la force, dit Faramir. Mais tous peuvent encore trouver la mort au combat, qu’ils le désirent ou non. Vous serez mieux préparée à l’affronter à votre manière si, pour le temps qui reste, vous vous pliez aux ordres du Guérisseur. Il nous faut, vous et moi, souffrir les heures d’attente avec patience. »
Elle ne répondit pas, mais comme il la regardait, il lui sembla que quelque chose en elle s’adoucissait, comme si une terrible gelée s’avouait vaincue aux tout premiers présages du Printemps. Une larme monta à l’œil de la jeune femme et ruissela sur sa joue, telle une goutte de pluie miroitante. Sa tête fière se courba quelque peu. Puis, doucement, comme si elle s’adressait à elle-même plutôt qu’à lui : « Mais les guérisseurs voudraient que je reste alitée pendant encore une semaine, dit-elle. Et ma fenêtre ne donne pas sur l’est. » Sa voix était à présent celle d’une fille, jeune et chagrine.
Faramir sourit, mais son cœur se gonfla de pitié. « Votre fenêtre ne donne pas sur l’est ? dit-il. Cela peut s’arranger. En cela, j’interviendrai auprès du Gardien. Si vous voulez bien demeurer ici sous notre garde, madame, et prendre le repos qu’il vous faut, alors vous pourrez marcher à loisir dans ce jardin ensoleillé ; et vous pourrez contempler l’est, où sont allés tous nos espoirs. Et vous me trouverez ici, à marcher et à attendre, et à contempler l’est comme vous. Cela apaiserait mon souci si vous daigniez parler avec moi, ou marcher quelquefois en ma compagnie. »
Alors, elle leva la tête et le regarda de nouveau dans les yeux ; et son pâle visage prit un peu de couleur. « Comment apaiserais-je votre souci, monseigneur ? demanda-t-elle. Et je ne désire pas la compagnie des vivants. »
« Préférez-vous une réponse franche ? » dit-il.
« Oui. »
« En ce cas, Éowyn du Rohan, je vous dirai que vous êtes belle. Dans les vallées de nos montagnes, il est des fleurs d’une beauté éclatante et des jeunes filles encore plus belles ; mais je n’ai encore vu au Gondor ni fleur ni femme plus ravissante, ni plus triste. Peut-être ne reste-t-il que quelques jours avant que les ténèbres s’étendent sur notre monde, et j’espère les affronter sans défaillir quand elles viendront ; mais mon cœur serait plus léger si je pouvais vous voir, tant que le Soleil brille. Car nous sommes tous deux passés, vous et moi, sous les ailes de l’Ombre, et la même main nous a secourus. »
« Hélas ! pas moi, seigneur, lui dit-elle. L’Ombre m’écrase encore. Ne comptez pas sur moi pour votre guérison ! Je suis une fille guerrière et ma main n’est pas tendre. Mais je vous remercie pour cela au moins, de n’être pas confinée à ma chambre. Je serai libre d’aller à mon gré, par la grâce de l’Intendant de la Cité. » Et elle lui fit une révérence et s’en fut vers la maison. Mais Faramir resta longtemps à marcher seul dans le jardin ; et désormais, ses regards s’attardaient plus souvent sur la maison que sur les remparts de l’est.
Quand il eut regagné sa chambre, il fit appeler le Gardien, et il entendit tout ce que l’autre put lui dire au sujet de la Dame du Rohan.
« Mais je ne doute pas, seigneur, dit le Gardien, que vous serez mieux renseigné par le Demi-Homme qui est avec nous ; car il était de la suite du roi et se trouvait aux côtés de la Dame à la toute fin, dit-on. »
Merry fut donc envoyé auprès de Faramir, et ils passèrent le reste de la journée dans un long entretien, où Faramir apprit bien des choses, plus encore, même, que ce que Merry trouva bon d’exprimer en mots ; et il crut alors comprendre un peu mieux la tristesse et le trouble d’Éowyn du Rohan. Et par cette belle soirée, Faramir et Merry se promenèrent dans le jardin ; mais elle ne vint pas.
Le lendemain matin, tandis que Faramir sortait des Maisons, il la vit toutefois, debout sur les remparts ; et elle était tout de blanc vêtue, et son vêtement luisait au soleil. Il l’appela et elle descendit, et ils marchèrent sur l’herbe ou encore s’assirent ensemble sous un arbre vert, tantôt en silence, tantôt parlant. Et chaque jour qui suivit, ils firent de même. Et le Gardien, regardant de sa fenêtre, se réjouit à cette vue, car c’était un guérisseur, et son souci fut allégé ; et il voyait bien que, si lourdes qu’aient été la peur et l’appréhension qui pesaient alors sur le cœur des hommes, ces deux êtres dont il avait soin tout au moins prospéraient et récupéraient de jour en jour.
Ainsi vint le cinquième jour depuis que la dame Éowyn s’était rendue pour la première fois auprès de Faramir ; et voilà qu’ils se tenaient de nouveau ensemble sur les murs de la Cité et y regardaient au loin. Aucune nouvelle n’était encore venue, et tous les cœurs étaient noirs. Le temps, aussi, s’était assombri. Il faisait froid. Un vent pénétrant, surgi à la nuit, soufflait maintenant du Nord et fraîchissait ; mais les terres alentour étaient grises et mornes.