Puis Aragorn dit : « L’heure est enfin venue. Je vais maintenant à Pelargir-sur-Anduin, et vous allez me suivre. Et quand tout le pays sera lavé des serviteurs de Sauron, je tiendrai votre serment pour accompli, et vous trouverez la paix et serez libres de partir pour toujours. Car je suis Elessar, l’héritier d’Isildur du Gondor. »
Et ce disant, il pria Halbarad de déployer le grand étendard qu’il avait apporté ; et voyez ! celui-ci était noir, et s’il portait quelque emblème, les ténèbres ne le dévoilèrent pas. Puis ce fut le silence, et il n’y eut plus un chuchotement ni un soupir de toute cette longue nuit. La Compagnie bivouaqua près de la Pierre, mais les hommes dormirent peu, par crainte des Ombres qui les cernaient de toutes parts.
Mais quand l’aube vint, froide et pâle, Aragorn se secoua aussitôt, et il mena alors la Compagnie dans le voyage le plus précipité et le plus harassant qu’aucun d’entre eux, lui seul excepté, avait jamais connu ; et seule sa volonté les maintint en selle. Nuls autres Hommes n’auraient pu l’endurer, nuls autres mortels que les Dúnedain du Nord, et avec eux Gimli le Nain et Legolas du peuple des Elfes.
Ils passèrent le Col de Tarlang et entrèrent au Lamedon ; l’Armée Ombreuse se pressait derrière eux, la peur les devançait ; puis ils gagnèrent Calembel-sur-Ciril, et le soleil se coucha en sang au-delà de Pinnath Gelin, loin dans l’Ouest, derrière eux. La région et les gués de la Ciril étaient déserts, car de nombreux hommes étaient partis à la guerre ; et les autres, à la rumeur de la venue du Roi des Morts, avaient trouvé refuge dans les collines. Mais le lendemain, l’aube ne vint pas, et la Compagnie Grise passa dans les ténèbres de l’Orage du Mordor et hors de la vue des mortels ; mais les Morts la suivaient.
3Le rassemblement du Rohan
Toutes les routes convergeaient à présent vers l’Est pour faire face à la guerre et à l’assaut de l’Ombre. Et tandis même que Pippin se tenait à la Grande Porte de la Cité pour voir entrer le Prince de Dol Amroth avec ses étendards, le Roi du Rohan descendait du haut des collines.
Le jour baissait. Les Cavaliers, sous les derniers rayons du soleil, jetaient de longues ombres pointues qui les précédaient. L’obscurité s’était déjà glissée sous les sapinières murmurantes qui couvraient les flancs escarpés des montagnes. À la fin du jour, le roi allait d’un pas ralenti. Devant lui, le chemin contournait un grand épaulement de rocher nu et plongeait dans la pénombre, parmi les doux soupirs des arbres. Ils descendaient, encore et encore, en un long et sinueux cortège. Enfin parvenus au fond de la gorge, ils virent que le soir était tombé dans les creux. Le soleil avait disparu. Le crépuscule enveloppait les chutes d’eau.
Toute cette journée, loin en contrebas, un ruisseau bondissant était descendu du haut col derrière eux, frayant son lit étroit entre deux parois recouvertes de pins ; à présent, il coulait sous une arche de pierre et débouchait dans une vallée plus large. Les Cavaliers le suivirent, et soudain, le Val de Hart se trouva devant eux, empli de la rumeur des eaux du soir. Là, la blanche Snawburna, rejointe par le ruisseau de montagne, fumait et moussait sur les pierres dans sa course précipitée vers Edoras et les vertes collines au-dessus de la plaine. Loin à droite, au fond de la vaste combe, l’impérieux Starkhorn se dressait sur ses larges éperons enveloppés de nuages ; mais son sommet déchiqueté, drapé de neiges éternelles, rayonnait loin au-dessus du monde, ombré de bleu à l’orient, taché de rouge par le couchant.
Merry contempla d’un œil émerveillé tout cet étrange pays, à propos duquel il avait entendu bien des contes sur le long chemin. C’était un monde sans ciel, où son regard, à travers des gouffres d’air sombre et indécis, ne voyait que des pentes qui grimpaient et grimpaient, de grands murs de pierre derrière d’autres murs, et d’inquiétants à-pics couronnés de brouillard. Il se tint un moment dans un demi-rêve, prêtant l’oreille au murmure de l’eau et au soupir des arbres noirs, au craquement de la pierre, et au silence, vaste et attentif, qui guettait derrière tous les sons. Il aimait les montagnes, ou du moins, il avait aimé les voir poindre à la lisière des histoires venues de très loin ; mais à présent, il ployait sous le poids insoutenable de la Terre du Milieu. Il aurait voulu se soustraire à son immensité dans une pièce tranquille au coin du feu.