Le prince Imrahil porta Faramir à la Tour Blanche, et il dit : « Votre fils est revenu, seigneur, après de hauts faits d’armes », et il raconta tout ce qu’il avait vu. Mais Denethor se leva, contempla le visage de son fils et resta silencieux. Puis il leur ordonna de préparer un lit dans la pièce, d’y allonger Faramir et de quitter les lieux. Mais lui-même monta seul à la chambre secrète sous le pinacle de la Tour ; et nombre de ceux qui levèrent les yeux dans cette direction virent alors une pâle lumière qui jetait des reflets changeants à travers les fenêtres étroites ; mais au bout d’un moment, elle clignota et s’éteignit. Et lorsque Denethor redescendit, il alla trouver Faramir et s’assit à son chevet sans dire un mot ; mais le visage du Seigneur était gris, plus sépulcral que celui de son fils.
Ainsi, la Cité était enfin assiégée, cernée par un anneau d’ennemis. Le Rammas était en ruine, et tout le Pelennor abandonné à l’adversaire. Les dernières nouvelles de l’extérieur vinrent de fuyards qui arrivèrent par la route du Nord avant la fermeture de la Porte. C’était tout ce qui restait de la garnison postée à l’endroit où la route de l’Anórien et du Rohan entrait dans les terres avoisinantes de la Cité. Leur chef était Ingold, celui-là même qui avait laissé entrer Gandalf et Pippin moins de cinq jours auparavant, alors que le soleil se levait encore et que l’espoir renaissait au matin.
« Nous n’avons aucune nouvelle des Rohirrim, dit-il. Le Rohan ne viendra plus, maintenant. Ou s’il vient, il ne nous sera d’aucun secours. La nouvelle armée dont nous avions eu vent est arrivée avant eux, après avoir traversé le Fleuve à Andros, dit-on. C’est une force redoutable : il y a des bataillons d’Orques de l’Œil, et d’innombrables compagnies d’Hommes, des guerriers d’étrange sorte que nous n’avions jamais vus avant. Ils ne sont pas grands, mais larges d’épaules, la mine sombre, barbus comme des nains, et ils manient de grandes haches. Ils viennent d’un pays de sauvages, probablement, quelque part dans l’immensité de l’Est. Ils tiennent la route du Nord ; et maints d’entre eux ont pénétré en Anórien. Les Rohirrim ne pourront passer. »
La Porte fut refermée. Toute la nuit, les guetteurs des murs entendirent la rumeur de l’ennemi rôdant à l’extérieur, brûlant arbres et champs, s’acharnant sur tout homme qu’ils trouvaient, mort ou vif, au-dehors. Dans l’obscurité, ils ne pouvaient deviner combien avaient déjà traversé le Fleuve ; mais quand le matin, ou l’ombre d’un matin, se faufila sur la plaine, on vit que même les peurs nocturnes n’avaient guère exagéré la réalité. La plaine était noire de leurs compagnies en marche, et, aussi loin qu’on pût voir dans la sombreur du jour apparaissaient, tout autour de la cité assiégée, telle une immonde excroissance fongueuse, de vastes regroupements de tentes, noires ou rouge sombre.
Les orques creusaient et creusaient, telles des fourmis, de profondes tranchées formant d’immenses anneaux concentriques, tout juste hors de portée des archers ; et à mesure qu’elles étaient excavées, chacune d’elles se remplissait de feu, sans qu’on pût voir par quel artifice ou sorcellerie ces feux étaient allumés ou alimentés. Ce travail se poursuivit toute la journée sous les regards impuissants des hommes de Minas Tirith. Et dès qu’une partie était achevée, on voyait s’approcher de grands chariots ; et de nouvelles compagnies de l’ennemi ne tardaient pas à installer, chacune derrière la protection d’une tranchée, d’énormes engins destinés au lancement de projectiles. Aucun engin sur les murs de la Cité n’était assez gros pour porter aussi loin ou empêcher les travaux.
Les hommes en rirent au début, ne craignant pas beaucoup ces machines. Car le maître mur de la Cité était très haut et fabuleusement épais, bâti avant que le pouvoir et le savoir-faire de Númenor subissent le déclin de l’exil ; et sa face extérieure était semblable à la Tour d’Orthanc, dure, sombre et lisse, invulnérable à l’acier ou au feu : indestructible, sinon par quelque convulsion capable d’ébranler le fondement même de ses assises.
« Non, disaient-ils, nul n’entrera ici, pas même l’Innommable, dût-il venir en personne, tant que nous vivrons. » Mais d’autres répondaient : « Tant que nous vivrons ? Pour combien de temps ? Il possède une arme qui a eu raison de maintes forteresses depuis le commencement du monde. La faim. Les routes sont coupées. Le Rohan ne viendra pas. »