Le soir devait bientôt tomber d’après l’heure, et la lumière était si faible que même les plus clairvoyants, sur les murs de la Citadelle, ne discernaient pas grand-chose au milieu des champs, sinon les incendies qui ne cessaient de se multiplier et les traînées de feu qui se faisaient plus longues et plus rapides. Enfin, à moins d’un mille de la Cité, une masse d’hommes plus ordonnée se présenta à la vue : ils marchaient et ne couraient pas, toujours en rangs serrés.
Les guetteurs retinrent leur souffle. « Faramir doit être du nombre, dirent-ils. Il maîtrise hommes et bêtes. Il va s’en tirer. »
À présent, le gros de la retraite ne devait pas être à plus de deux furlongs. Au fond, dans la pénombre, un petit groupe de cavaliers arriva au galop : c’était tout ce qui restait de l’arrière-garde. Ils se retournèrent une fois de plus, aux abois, faisant face aux traînées de feu qui approchaient. Puis soudain s’éleva une clameur féroce. Des cavaliers ennemis surgirent en trombe. Les traînées de feu devinrent d’impétueux torrents : des Orques, rang sur rang, portant des brandons, et de sauvages Sudrons aux bannières rouges et aux cris barbares, montant à l’assaut, les débordant. Et du ciel charbonneux fondirent les ombres ailées avec un cri perçant, les Nazgûl plongeant sur leurs victimes.
La retraite se changea en déroute. Déjà, les hommes se séparaient, fuyant éperdus, jetant leurs armes, criant de terreur, tombant au sol.
Une trompette retentit alors dans la Citadelle, et Denethor ordonna enfin la sortie. Serrés dans l’ombre de la Porte et à l’extérieur des hauts murs, ils avaient attendu son signal : des hommes montés, tous ceux qui restaient dans la Cité. Ils s’élancèrent à présent, se formèrent, prirent le galop et chargèrent avec un grand cri. Et des remparts, un autre s’éleva en réponse ; car sur les premiers rangs étaient les chevaliers-cygnes de Dol Amroth avec, à leur tête, le Prince et sa bannière bleue.
« Amroth pour le Gondor ! s’écrièrent-ils. Amroth au secours de Faramir ! »
Comme la foudre, ils s’abattirent sur l’ennemi de part et d’autre de la retraite ; mais un cavalier les dépassa tous, vif comme le vent sur l’herbe : Scadufax le portait, son éclat blanc révélé une fois de plus, tandis que de sa main levée, une lumière jaillissait.
Les Nazgûl lâchèrent un cri aigu et s’éloignèrent, car leur Capitaine n’était pas encore venu défier l’éclat blanc de son adversaire. Les armées du Mordor, resserrées autour de leur proie, prises à l’improviste dans leur folle cavalcade, se dispersèrent alors comme des étincelles dans un grand coup de vent. Un élan d’acclamations souleva les compagnies extérieures, qui se retournèrent contre leurs poursuivants. Les traqueurs devinrent les traqués. La retraite devint un assaut. Le champ de bataille fut bientôt jonché d’orques et d’hommes terrassés, et les effluves de leurs torches fumantes, partout jetées au sol, s’élevèrent en de noirs tourbillons. La cavalerie poursuivit son avancée.
Mais Denethor ne leur permit pas d’aller loin. Certes, l’ennemi était contenu, et repoussé pour le moment, mais de grandes forces continuaient d’affluer de l’Est. La trompette retentit de nouveau, sonnant la retraite. La cavalerie du Gondor fit halte. Derrière son écran, les compagnies extérieures se reformèrent. Leurs hommes revenaient à présent d’un pas soutenu. Enfin aux portes de la Cité, ils y entrèrent la tête haute ; et la tête haute, les gens de la Cité les contemplèrent, criant leurs louanges, mais les cœurs étaient inquiets. Car les compagnies paraissaient réduites de beaucoup ; Faramir avait perdu le tiers de ses hommes. Et lui, où était-il ?
Il fut le dernier de tous. Ses hommes entrèrent. Puis les chevaliers montés, et la bannière de Dol Amroth, et enfin le Prince lui-même. Et dans ses bras, devant lui sur sa monture, il portait le corps de son parent, Faramir fils de Denethor, trouvé sur le champ de bataille.
« Faramir ! Faramir ! » crièrent les hommes, pleurant dans les rues. Mais il ne répondit pas, et on le porta jusqu’à son père, le long de la sinueuse route qui montait à la Citadelle. Alors même que les Nazgûl se dérobaient devant l’assaut du Cavalier Blanc, avait volé un trait mortel ; et Faramir, cherchant à repousser un cavalier, un champion du Harad, avait été terrassé. Seule la charge de Dol Amroth l’avait sauvé des sanglantes épées du Sud qui l’auraient taillé gisant au sol.