Tous prirent alors congé du Seigneur de la Cité, et ils allèrent se reposer pendant qu’ils le pouvaient encore. Dehors, sous la noirceur d’un ciel sans étoile, Gandalf et Pippin regagnèrent leur logement, le hobbit portant une petite torche. Ils ne prononcèrent aucune parole avant de se trouver derrière des portes closes. Alors, Pippin saisit la main de Gandalf.
« Dites-moi, y a-t-il de l’espoir ? demanda-t-il. Pour Frodo, je veux dire ; enfin, surtout pour lui. »
Gandalf posa sa main sur la tête du hobbit. « Il n’y en a jamais eu beaucoup, répondit-il. Seulement l’espoir d’un fou, comme on vient de me le dire. Et quand j’ai entendu le nom de Cirith Ungol… » Il s’interrompit, allant à la fenêtre, comme si ses yeux pouvaient percer la nuit de l’Est. « Cirith Ungol ! murmura-t-il. Pourquoi ce chemin, je me le demande ! » Il se retourna. « Tout à l’heure, en entendant cela, le cœur a failli me manquer, Pippin. Mais à vrai dire, les nouvelles de Faramir me redonnent un certain espoir. Car il semble évident que notre Ennemi a enfin déclenché la guerre, qu’il a bougé pendant que Frodo allait encore librement. Maintenant et pour bien des jours, son œil se dirigera de côté et d’autre, en dehors de son propre pays. Néanmoins, Pippin, je sens d’ici sa hâte et sa peur. Il s’est mis en branle plus tôt qu’il ne l’escomptait. Quelque chose s’est produit qui l’aura contraint à l’action. »
Gandalf s’arrêta et parut réfléchir. « Peut-être, marmonna-t-il. Oui, même votre bêtise a pu aider, mon garçon. Attendez voir : il y a cinq jours environ, il aura découvert que Saruman était renversé et que la Pierre était entre nos mains. Et alors ? Nous ne pouvions en tirer grand-chose, ni le faire à son insu. Ah ! Je me demande. Aragorn ? Son heure approche. Et il est fort intérieurement, Pippin, d’une grande fermeté : hardi, déterminé, capable de suivre sa propre voie et de courir de grands risques au besoin. C’est peut-être cela. Il s’est peut-être servi de la Pierre et montré à l’Ennemi, cherchant à le défier dans ce dessein même. Je me le demande. Enfin, nous ne connaîtrons pas la réponse avant l’arrivée des Cavaliers du Rohan, s’ils n’arrivent pas trop tard. Des jours funestes nous attendent. Au repos, pendant que nous le pouvons ! »
« Mais… », fit Pippin.
« Mais quoi ? demanda Gandalf. Je ne permettrai qu’un seul
« Gollum, dit Pippin. Comment diable se fait-il qu’ils se promènent avec
« Je ne puis vous répondre pour l’instant, dit Gandalf. Mais mon cœur me disait que Frodo et Gollum se rencontreraient avant la fin. Pour le bien ou pour le mal. Mais de Cirith Ungol, je ne parlerai pas ce soir. La traîtrise, voilà ce que je crains : la traîtrise de cette misérable créature. Mais les choses sont telles qu’elles sont. Rappelons-nous qu’un traître peut se trahir lui-même et causer un bienfait qu’il n’avait pas cherché. Cela arrive. Bonne nuit ! »
Le jour se leva dans un crépuscule brun, et le cœur des hommes, ragaillardi un temps par le retour de Faramir, retomba. On ne revit pas les Ombres ailées ce jour-là, mais de temps à autre, loin au-dessus de la cité, venait un faible cri, et la plupart restaient saisis comme d’une peur passagère, tandis que les moins intrépides pleuraient et tremblaient.
Et voilà que Faramir était reparti. « Ils ne lui laissent aucun repos, murmuraient certains. Le Seigneur exige trop de son fils, et maintenant, il doit accomplir le devoir des deux : le sien, et celui du fils qui ne reviendra pas. » Et les hommes regardaient sans cesse vers le nord, et demandaient : « Où sont les Cavaliers du Rohan ? »
Faramir, en vérité, n’était pas parti de son propre chef. Mais le Seigneur de la Cité était maître de son Conseil ; et ce jour-là, il n’était aucunement d’humeur à s’incliner devant autrui. Le Conseil s’était réuni tôt en matinée. Tous les capitaines avaient jugé qu’en raison de la menace du Sud, leur effectif était trop faible pour autoriser quelque action militaire de leur part, à moins que les Cavaliers du Rohan ne se décident enfin à leur prêter main-forte. Entre-temps, il s’agissait d’assurer la défense des murs et d’attendre.
« Il n’empêche, dit Denethor, que les ouvrages extérieurs ne doivent pas être abandonnés à la légère, notamment le Rammas édifié avec tant de peine. Et l’Ennemi doit payer chèrement la traversée du Fleuve. Il ne peut le faire, en force suffisante pour attaquer la Cité, ni au nord de Cair Andros à cause des marais, ni au sud, vers le Lebennin, de par la largeur des eaux : il lui faudrait pour cela de nombreuses embarcations. C’est à Osgiliath qu’il mettra tout son poids, comme auparavant, quand Boromir lui a refusé le passage. »