Sous le regard de Pippin, l’homme à cheval et le Cavalier Blanc se rejoignirent et s’arrêtèrent, attendant les autres qui venaient à pied. Des hommes de la Cité coururent alors à leur rencontre ; et tous passèrent bientôt hors de vue sous les murs extérieurs, sans doute en train de franchir la Porte. Devinant qu’ils monteraient aussitôt à la Tour pour voir l’Intendant, Pippin se rendit en toute hâte à l’entrée de la Citadelle. Là, il fut rejoint par de nombreux autres qui, comme lui, avaient observé la scène du haut des murs.
Avant peu, une clameur retentit dans les rues qui grimpaient des cercles extérieurs, une effusion de cris et de hourras où s’entendaient les noms de Faramir et de Mithrandir. Pippin entrevit bientôt des torches et, devant un grand attroupement, deux cavaliers au pas : l’un était en blanc mais ne brillait plus, pâle dans le crépuscule, comme si son éclat était épuisé ou voilé ; l’autre était sombre, et il courbait la tête. Ils mirent pied à terre ; et pendant que des palefreniers s’occupaient de Scadufax et de l’autre monture, ils allèrent trouver la sentinelle à la porte : Gandalf d’un pas décidé, sa cape grise rejetée en arrière, un feu couvant encore dans ses yeux ; l’autre, tout en vert, lentement, vacillant un peu, comme un homme éreinté ou blessé.
Comme ils arrivaient sous la lanterne de la voûte d’entrée, Pippin se pressa en avant et, apercevant le pâle visage de Faramir, il retint son souffle. C’était celui d’un homme qui, après une grande peur ou un profond tourment, a retrouvé son calme et la maîtrise de soi. Grave et fier, il s’arrêta un moment pour s’adresser au garde ; et Pippin, l’observant, put voir à quel point il ressemblait à Boromir – que Pippin avait aimé d’emblée, admirant sa grandeur, sa manière à la fois seigneuriale et bienveillante. Mais voici que, pour Faramir, il conçut tout à coup un sentiment étrange qu’il n’avait jamais éprouvé avant. Il y avait chez lui un air de haute noblesse, comme celui qu’Aragorn montrait parfois – moins haute, peut-être, mais en même temps plus proche et moins ineffable : un Roi des Hommes né à une époque ultérieure, mais touché par la sagesse et la tristesse du Peuple Aîné. Il comprit pourquoi Beregond avait prononcé son nom avec amour. C’était un capitaine que les hommes suivraient sans conteste, que lui-même serait prêt à suivre, même dans l’ombre des ailes noires.
« Faramir ! cria-t-il avec les autres. Faramir ! » Et Faramir, percevant son étrange petite voix parmi la clameur des hommes, se retourna et baissa sur lui des yeux pleins d’étonnement.
« D’où sortez-vous ? demanda-t-il. Un demi-homme, vêtu dans la livrée de la Tour ! Mais d’où… ? »
Alors Gandalf s’avança pour lui parler. « Il est venu avec moi du pays des Demi-Hommes, dit-il. Il est venu avec moi. Mais ne nous attardons pas ici. Il y a fort à dire et à faire, et vous êtes fatigué. Il va nous accompagner. En fait, il n’a pas le choix, car à moins qu’il n’oublie ses nouveaux devoirs plus facilement que moi, il doit retrouver son maître dans l’heure. Allons, Pippin, suivez-nous ! »
Ainsi, ils gagnèrent enfin la chambre privée du Seigneur de la Cité, où de profonds fauteuils étaient disposés autour d’un brasero de charbon de bois. Du vin fut servi ; et Pippin, presque invisible derrière le fauteuil de Denethor, sentait à peine sa fatigue, tant son oreille était attentive à tout ce qui se disait.
Quand Faramir eut pris du pain blanc et bu une gorgée de vin, il s’assit dans un fauteuil bas à main gauche de son père. De l’autre côté, un peu en retrait, Gandalf occupait un fauteuil de bois sculpté ; et au début, il semblait dormir. Car Faramir ne parla tout d’abord que de la mission qui lui avait été confiée dix jours auparavant, donnant des nouvelles de l’Ithilien et des mouvements de l’Ennemi et de ses alliés ; et il raconta l’échauffourée qui avait eu lieu sur la route et où les hommes du Harad et leur grande bête avaient été anéantis. C’étaient les propos d’un capitaine rapportant à son maître, comme souvent par le passé, les détails d’une guerre frontalière devenue inutile et insignifiante, sans gloire aucune.
Puis Faramir se tourna tout à coup vers Pippin. « Mais nous en venons maintenant à d’étranges affaires, dit-il. Car ce n’est pas le premier demi-homme que je vois sortir des légendes septentrionales et s’aventurer dans les Terres du Sud. »
À ces mots, Gandalf se redressa, agrippant les bras de son fauteuil ; mais il ne dit mot et, d’un regard, contint l’exclamation qui venait aux lèvres de Pippin. Denethor, les observant, eut un hochement de tête, comme pour signifier qu’il avait lu bien des choses sans qu’aucune parole ne fût prononcée. Lentement, devant un auditoire silencieux et pétrifié, Faramir raconta son histoire. La plupart du temps, son regard était fixé sur Gandalf, mais ses yeux s’égaraient parfois sur la personne du hobbit, comme pour rafraîchir le souvenir que d’autres lui avaient laissé.