— Nous essayons de regagner notre unité, Kamerad, nous nous sommes égarés dans la nuit.
— Pas étonnant, souffla l’autre, nous marchons nous-mêmes à l’aveuglette.
Nous remarquâmes un casque blanc dessiné au pochoir sur les flancs du tigre. C’était le signe de reconnaissance de l’unité « Gross Deutschland ». Nous en fûmes fort heureux. Nous expliquâmes notre affaire et nos compagnons d’armes nous embarquèrent à bord de leur véhicule d’acier.
— Vous êtes de la G.D. ? (Gross Deutschland).
— Oui, l’un et l’autre.
Un plafonnier garni de fer, comme une baladeuse de mécanicien, et l’éclairage des appareils de visée jetaient une lumière jaune à l’intérieur de la tourelle qui me sembla peinte au minium jaune-orange. Il y avait deux types à bord de la tourelle et probablement deux autres à l’avant. Le moteur, qui faisait un bruit énorme et interdisait presque toute conversation à oreilles nues, dégageait une douce chaleur agrémentée d’une odeur de carburant brûlée et d’huile chaude.
Malgré l’espace assez vaste, nous eûmes quelques difficultés à nous trouver une place parmi les manettes et les caissons d’obus. Le commandant de bord restait aux aguets, et sa tête recouverte d’un bonnet un peu semblable à ceux des Russes émergeait de temps à autre au-dessus du capot.
Nous apprîmes qu’ils regagnaient, eux aussi, leur unité. Une avarie les avait cloués sur place quarante-huit heures. Maintenant, en grand péril, car un char seul est un animal aveugle, ils essayaient de s’orienter auprès des batteries et des compagnies qu’ils rencontraient. Leur char ne possédait qu’un appareil récepteur et le chef de groupe ne donnait pas signe de vie. Peut-être les avait-il déjà classés disparus.
Nous apprîmes aussi que les nouveaux Panzers engagés étaient enduits d’un ciment antimines magnétiques et de réservoirs extérieurs extincteurs. Le plus dangereux restait le lance-fusées individuel qui portait un nom de femme et que les Russes avaient mis au point après avoir connu nos Panzerfaust.
Selon les tankistes, aucun adversaire chenillé n’était de taille à lutter avec le monstre baptisé
Le char stoppa une heure plus tard.
— Voici des pancartes, cria le commandant, il y a sans doute un poste ici.
Il partit aux renseignements et nous le suivîmes.
Dans la nuit noire, une sorte de duvet tombait dru et collait à la figure. Il neigeait. Un pieu hérissé de pancartes se dressait comme un spectre et d’une façon parfaitement insolite. Le tankiste balaya la neige de son gant et prit connaissance de l’inscription. La compagnie de la jeune recrue, ainsi que trois ou quatre autres étaient indiquées en direction de l’est. Le reste du régiment était au nord-est c’est-à-dire dans la direction que suivait le char.
La jeune recrue, qui prenait probablement contact avec le front, dut prendre congé de notre groupe et s’éloigna seul, vers l’est dans la nuit opaque. J’emportai avec moi son expression de terreur peinte en blanc sur son visage juvénile.
Vingt minutes plus tard, le char tomba sur mon unité et décida d’y passer la nuit. Je sautai à bas de mon taxi d’airain et allai aux renseignements dans un groupe misérable d’isbas dont les longs toits émergeaient du sol comme des tentes gigantesques. Au groupe de commandement, qui s’était installé dans une de celles-ci, un sous-off veillait devant un bureau fait de quelques planches hissées sur différents matériaux et éclairé de trois bougies. Comme aucun feu ne réchauffait l’atmosphère, le type avait jeté une couverture par-dessus sa capote. J’obtins les renseignements suffisants pour rejoindre ma famille de guerre, c’est-à-dire ma compagnie qui était précisément en ligne.
Comme lors de ma première prise de contact avec le front, j’avançais dans une succession de casemates, trous, Graben, et autres positions cent fois plus précaires et moins profondes que celles du Don. Le génie, quasi inexistant par ici, n’avait fait que ce qu’il avait pu et le reste dépendait de la pelle-pioche des unités d’infanterie épuisées. L’hiver commençait tout juste. Déjà il gelait sec et tout laissait prévoir une aggravation.
À force de questions, un type des liaisons m’amena à la casemate de notre officier. J’y fus introduit. La sentinelle me toisa, étonnée de me voir accompagné comme un officier supérieur, et souleva la toile de tente qui servait de porte à ce trou à rat.
Wesreidau ne dormait pas. Un gros cache-col montait haut sur son visage et laissait dépasser un brûle-gueule éteint. Herr Hauptmann, tête nue, semblait absorbé par l’étude d’une carte.