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Vivant désormais sous le même toit, les Jumeaux construisent des univers plus personnels. Ils partagent de moins en moins leurs chambres. Et donc leurs jeux. Ils ne chahutent plus ensemble. Ils deviennent adversaires dans le silence: pas de rixes, de violences ou d'oppositions frontales; mais une défiance nouvelle, des regards obliques, des coups d' œil entendus entre chacun d'eux et son parent respectif. L'un travaille mieux que l'autre en classe. L'un a de la musique dans sa chambre et pas l'autre. L'un a des rollers plus récents, l'autre un ordinateur, celui-ci la montre dont rêve celui-là, l'un son père à la maison, l'autre sa mère à la maison.

«Ils ont grandi, commente Jeanne. Imaginons qu'ils se rencontrent aujourd'hui dans une cour de récréation: ils ne se choisiraient sans doute pas.»


Si les deux garçons étaient frères, les parents ne s'alarmeraient pas. Ils saisiraient les deux enfants par le col et leur enjoindraient de s'entendre. Ou encore, ils prendraient des mesures qui ne les culpabiliseraient pas eux-mêmes. Ils pourraient aussi s'accorder sur le point de vue qu'il ne cesse de défendre, mais que Jeanne n'entend pas: Laissons-les faire, c'est leur problème.

Elle considère que c'est d'abord le sien. Au point que son humeur dépend désormais à peu près exclusivement des notes obtenues par son fils en classe, du nombre de ses copains, de sa bonne ou de sa mauvaise fortune. Celle d'Héloïse varie selon celle de sa mère. Les autres comptent pour du beurre.

Le soir, Jeanne entre désormais dans la chambre de Paul avant même de voir quiconque, ouvre le carnet de correspondance et entame le grand marathon des leçons et des devoirs. Paul a baissé en classe. Jeanne y voit la conséquence de l'arrivée de Tom et du comportement trop exclusif de son père. Le virus du remords se développe à toute allure. Elle le combat chaque soir, inlassablement, en faisant ânonner, réciter, répéter son fils. Lorsqu'elle quitte sa chambre, Héloïse la happe. Pourquoi ne donnerait-elle pas à sa fille ce qu'elle offre à son garçon? Parfois, ils se bouclent tous les trois dans la chambre de l'un ou de l'autre tandis que Tom et Pap' restent ensemble, ailleurs dans la maison.

Où il découvre une vérité nouvelle qui l'effraie: les familles recomposées ne se recomposent bien que lorsque chacun de ses membres le veut bien.


«Quand nous nous sommes installés chez toi…»

Il la coupe:

«… Ce n'est pas chez moi.

– Au mieux, chez toi et chez moi. Pas chez nous.»

Elle ajoute:

«Je n'ai jamais aimé cette maison.»

Et reprend:

«Quand nous sommes arrivés, je me partageais comme je le pouvais entre mon travail, mes enfants et toi. Alors que depuis que Tom est là, tu ne travailles plus et tu délaisses mes enfants… J'aurais dû faire comme toi.»


Un soir, il entre dans la chambre d'Héloïse. Le cadre qui enfermait la photo d'elle et de Tom contient désormais un autre cliché. La partition s'achève.


Au fil des jours, le péril grandit en la demeure. Les batailles se multiplient. Elles sont comme des escarmouches masquant le véritable terrain des opérations. Le sel, le poivre, les courses et les grains de sable de la vie quotidienne enraient une mécanique rongée au cœur. Ils sonr fatigués. Certes, partout ailleurs, l'humanité conjugale se divise sur les mêmes questions: se plaint de trop en faire, passer l'éponge, descendre les poubelles, débarrasser la table, chercher l'objet perdu, laisser traîner les affaires, jamais ranger, faire du bruit… Mais généralement, il ne s'agit ni plus ni moins qu'une question de ménage, chacun balayant finalement pas si mal devant sa porte.

Eux se sont beaucoup battus. Ni le reup, ni la reum, ni le chômage, ni le lasso des événements n'ont eu leur peau. Mais si les enfants, à leur tour, enfoncent leurs clous, ils finiront par abattre un mur délabré. Alors, la si belle histoire se brisera sur la seule arête saillante qu'ils refusent tous deux d'enfouir, qui détruira tout, y compris eux-mêmes. Chacun défend ce qu'il croit devoir défendre.

Du haut de sa digue, Pap' observe, démuni, le triste spectacle de la marée montante.

La maison prend l'eau.


Il l'emmène un soir dans ce restaurant où ils avaient dîné la veille de leur première nuit. Dans le quartier des théâtres, à Montparnasse. Les bougies font toujours danser les yeux des femmes. Son regard est aussi profond que par le passé. Elle porte une alliance désormais, ses cheveux noirs sont à peine plus longs que naguère.

Il commande à boire, une coupe de champagne pour elle, un verre de bordeaux pour lui. Ils choquent leur verre doucement l'un contre l'autre.

Il va pour parler. Elle pose son doigt sur ses lèvres, comme elle faisait huit ans auparavant lorsqu'il la rejoignait chez elle, à l'autre bout de Paris, dans une maison où dormaient des enfants, de tout petits enfants.

«J'ai un secret pour toi.»

Son visage a perdu la gravité des jours passés, le masque immobile des chagrins enfouis. Il s'ouvre même sur un sourire doré, pailleté, joyeux. Elle le regarde avec une sorte d'amusement moqueur.

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