Chli-pou-kan grandit en taille et en intelligence, c'est maintenant une cité «adolescente». En poursuivant dans la voie des technologies aquatiques, on a installé tout un réseau de canaux sous l'étage - 12. Ces bras d'eau permettent le transport rapide d'aliments d'un bout à l'autre de la ville. Les Chlipoukaniennes ont eu tout loisir de mettre au point leurs techniques de transport aquatique. Le nec plus ultra est une feuille d'airelle flottante. Il suffit de prendre le courant dans le bon sens et on peut voyager sur plusieurs centaines de têtes de voie fluviale. Des champignonnières de l'est aux étables de l'ouest, par exemple. Les fourmis espèrent réussir un jour à dresser les dytiques. Ces gros coléoptères subaquatiques, pourvus de poches d'air sous leurs élytres, nagent en effet très vite. Si on pouvait les convaincre de pousser les feuilles d'airelle, les radeaux disposeraient d'un mode de propulsion moins aléatoire que les courants.
Chli-pou-ni elle-même lance une autre idée futuriste. Elle se souvient du coléoptère rhinocéros qui l'a libérée de la toile d'araignée. Quelle machine de guerre parfaite! Non seulement les rhinocéros ont une grande corne frontale, non seulement ils ont une carapace blindée, mais ils volent aussi à vive allure. Mère imagine carrément une légion de ces bêtes, avec dix artilleuses posées sur la tête de chacune d'entre elles. Elle voit déjà ces équipages fondre, quasi invulnérables, sur les troupes ennemies qu'elles inondent d'acide… Seul écueil: tout comme les dytiques, les rhinocéros se montrent d'autant plus difficiles à apprivoiser qu'on n'arrive même pas à comprendre leur langue! Alors plusieurs dizaines d'ouvrières passent leur temps à décrypter leurs émissions olfactives et à essayer de leur faire comprendre le langage phéromonal fourmi.
Si les résultats restent pour l'instant médiocres, les Chlipoukaniennes parviennent quand même à se les concilier en les gavant de miellat. La nourriture est finalement le langage insecte le mieux partagé.
En dépit de ce dynamisme collectif, Chli-pou-ni est soucieuse. Trois escouades d'ambassadrices ont été envoyées en direction de la Fédération pour se faire reconnaître comme soixante-cinquième cité et il n'y a toujours pas de réponse. Belo-kiu-kiuni rejette-t-elle l'alliance? Plus elle y réfléchit, plus Chli-pou-ni se dit que ses ambassadrices espionnes ont dû commettre des maladresses, se faire intercepter par les guerrières au parfum de roche. À moins qu'elles ne se soient simplement laissé charmer par les effluves hallucinogènes de la lomechuse de l'étage -50… Ou quoi d'autre encore? Elle veut en avoir le cœur net. Elle n'a pas l'intention de renoncer ni à sa reconnaissance par la Fédération ni à la poursuite de l'enquête! Elle décide d'envoyer 801e, sa meilleure et plus subtile guerrière. Pour lui donner tous les atouts, la reine opère une CA avec la jeune soldate, qui en saura de la sorte autant qu'elle sur ce mystère. Elle deviendra L'œil qui voit L'antenne qui sent La griffe qui frappe de Chli-pou-kan.