Elles font quelques pas. Mais d'énormes choses noires s'abattent autour d'elles. Un peu comme les Gardiens, sauf que celles-là tombent au petit bonheur la chance. Et ce n'est pas tout. Loin devant, se dresse un monolithe géant, tellement haut que leurs antennes n'arrivent pas à en percevoir les limites. Il assombrit le ciel, il écrase la terre. Ce doit être le mur du bout du monde, et derrière il y a de l'eau, pense 103 683e. Elles avancent encore un peu, pour tomber nez à nez avec un groupe de blattes agglutinées sur un morceau… d'on ne sait trop quoi. Leur carapace transparente laisse voir tous les viscères, tous les organes et même le sang qui bat dans les artères! Hideux! C'est en battant en retraite que trois moissonneuses sont pulvérisées par la chute d'une masse.
103683e et ses trois dernières camarades décident malgré tout de continuer. Elles passent des murets poreux, toujours en direction du monolithe à la taille infinie.
Elles se trouvent soudain dans une région encore plus déroutante. Le sol y est rouge et a le grain d'une fraise. Elles repèrent une sorte de puits et pensent y descendre pour trouver un peu d'ombre, quand brusquement une grosse sphère blanche d'au moins dix têtes de diamètre surgit du ciel, rebondit et les pourchasse. Elles se jettent dans le puits… ont juste le temps de se plaquer contre les parois lorsque la sphère s'écrase au fond.
Elles ressortent, affolées, et galopent. Alentour, le sol est bleu, vert ou jaune, et partout il y a ces puits et ces sphères blanches qui vous poursuivent. Cette fois c'en est trop, le courage a ses limites. Cet univers est bien trop différent pour être supportable.
Alors elles fuient à perdre haleine, reprennent le souterrain et retournent vite vers le monde normal.
Ils forent enfin devant le mur de Jonathan. Comment faire quatre triangles avec six allumettes? Daniel ne manqua pas de prendre une photo. Augusta tapa le mot «pyramide» et le mur bascula en douceur. Elle fut fière de son petit-fils. Ils passèrent, et ne tardèrent pas à entendre le mur qui se remettait en place. Jason éclaira les parois; partout de la roche, mais plus la même que tout à l'heure. Avant le mur elle était rouge, et jaune à présent, veinée de soufre.
L'air restait pourtant respirable. On aurait même cru sentir un léger filet d'air. Le Pr Leduc avait-il raison? Ce tunnel débouchait-il en forêt de Fontainebleau? Ils tombèrent tout à coup sur une nouvelle horde de rats, beaucoup plus agressifs que ceux qu'ils avaient rencontrés auparavant.
Jason comprit ce qui devait se passer mais n'eut pas le loisir de l'expliquer aux autres: ils avaient dû remettre les masques et balancer du gaz. Chaque fois que le mur basculait, ce qui certes n'était pas arrivé souvent, des rats de la «zone rouge» passaient dans la «zone jaune», à la recherche de nourriture. Mais si ceux de la zone rouge s'en tiraient encore à peu près, les autres - les migrants n'avaient rien trouvé de consistant et avaient dû s'entre-dévorer. Et Jason et ses amis avaient affaire aux survivants, autrement dit aux plus féroces. Avec eux, le gaz lacrymogène se révélait carrément inefficace. Ils attaquaient! Ils bondissaient, essayaient de s'accrocher aux bras…