Читаем Les Mots полностью

Ce que je viens d'écrire est faux. Vrai. Ni vrai ni faux comme tout ce qu'on écrit sur les fous, sur les hommes. J'ai rapporté les faits avec autant d'exactitude que ma mémoire le permettait. Mais jusqu'à quel point croyais-je à mon délire? C'est la question fondamentale et pourtant je n'en décide pas. J'ai vu par la suite qu'on pouvait tout connaître de nos affections hormis leur force, c'est-à-dire leur sincérité. Les actes eux-mêmes ne serviront pas d'étalon à moins qu'on n'ait prouvé qu'ils ne sont pas des gestes, ce qui n'est pas toujours facile. Voyez plutôt: seul au milieu des adultes, j'étais un adulte en miniature, et j'avais des lectures adultes; cela sonne faux, déjà, puisque, dans le même instant, je demeurais un enfant. Je ne prétends pas que je fusse coupable: c'était ainsi, voilà tout; n'empêche que mes explorations et mes chasses faisaient partie de la Comédie familiale, qu'on s'en enchantait, que je le savais: oui, je le savais, chaque jour, un enfant merveilleux réveillait les grimoires que son grand-père ne lisait plus. Je vivais au-dessus de mon âge comme on vit au-dessus de ses moyens: avec zèle, avec fatigue, coûteusement, pour la montre. A peine avais-je poussé la porte de la bibliothèque, je me retrouvais dans le ventre d'un vieillard inerte: le grand bureau, le sous-main, les taches d'encre, rouges et noires, sur le buvard rose, la règle, le pot de colle, l'odeur croupie du tabac, et, en hiver, le rougeoiement de la Salamandre, les claquements du mica, c'était Karl en personne, réifié: il n'en fallait pas plus pour me mettre en état de grâce, je courais aux livres. Sincèrement? Qu'est-ce que cela veut dire? Comment pourrais-je fixer – après tant d'années surtout – l'insaisissable et mouvante frontière qui sépare la possession du cabotinage? Je me couchais sur le ventre, face aux fenêtres, un livre ouvert devant moi, un verre d'eau rougie à ma droite, à ma gauche, sur une assiette, une tartine de confiture. Jusque dans la solitude j'étais en représentation: Anne-Marie, Karlémami avaient tourné ces pages bien avant que je fusse né, c'était leur savoir qui s'étalait à mes yeux; le soir, on m'interrogerait: «Qu'as-tu lu? qu'as-tu compris?», je le savais, j'étais en gésine, j'accoucherais d'un mot d'enfant; fuir les grandes personnes dans la lecture, c'était le meilleur moyen de communier avec elles; absentes, leur regard futur entrait en moi par l'occiput, ressortait par les prunelles, fléchait à ras du sol ces phrases cent fois lues que je lisais pour la première fois. Vu, je me voyais: je me voyais lire comme on s'écoute parler. Avais-je tant changé depuis le temps où je feignais de déchiffrer «le Chinois en Chine» avant de connaître l'alphabet? Non: le jeu continuait. Derrière moi, la porte s'ouvrait, on venait voir «ce que je fabriquais»: je truquais, je me relevais d'un bond, je remettais Musset à sa place et j'allais aussitôt, dressé sur la pointe des pieds, les bras levés, prendre le pesant Corneille; on mesurait ma passion à mes efforts, j'entendais derrière moi, une voix éblouie chuchoter: «Mais c'est qu'il aime Corneille!» Je ne l'aimais pas: les alexandrins me rebutaient. Par chance l'éditeur n'avait publié in extenso que les tragédies les plus célèbres; des autres il donnait le titre et l'argument analytique: c'est ce qui m'intéressait: «Rodelinde, femme de Pertharite, roi des Lombards et vaincu par Grimoald, est pressée par Unulphe de donner sa main au prince étranger…» Je connus Rodogune, Théodore, Agésilas avant le Cid, avant Cinna; je m'emplissais la bouche de noms sonores, le cœur de sentiments sublimes et j'avais souci de ne pas m'égarer dans les liens de parenté. On dit aussi: «Ce petit a la soif de s'instruire; il dévore le Larousse!» et je laissais dire. Mais je ne m'instruisais guère: j'avais découvert que le dictionnaire contenait des résumés de pièces et de romans; je m'en délectais.

J'aimais plaire et je voulais prendre des bains de culture: je me rechargeais de sacré tous les jours. Distraitement parfois: il suffisait de me prosterner et de tourner les pages; les œuvres de mes petits amis me servirent fréquemment de moulins à prière. En même temps, j'eus des effrois et des plaisirs pour de bon; il m'arrivait d'oublier mon rôle et de filer à tombeau ouvert, emporté par une folle baleine qui n'était autre que le monde. Allez conclure! En tout cas mon regard travaillait les mots: il fallait les essayer, décider de leur sens; la Comédie de la culture, à la longue, me cultivait.

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Порфирий — древнегреческий философ, представитель неоплатонизма. Ученик Плотина, издавший его сочинения, автор жизнеописания Плотина.Мы рады представить читателю самый значительный корпус сочинений Порфирия на русском языке. Выбор публикуемых здесь произведений обусловливался не в последнюю очередь мерой малодоступности их для русского читателя; поэтому в том не вошли, например, многократно издававшиеся: Жизнь Пифагора, Жизнь Плотина и О пещере нимф. Для самостоятельного издания мы оставили также логические трактаты Порфирия, требующие отдельного, весьма пространного комментария, неуместного в этом посвященном этико-теологическим и психологическим проблемам томе. В основу нашей книги положено французское издание Э. Лассэ (Париж, 1982).В Приложении даю две статьи больших немецких ученых (в переводе В. М. Линейкина), которые помогут читателю сориентироваться в круге освещаемых Порфирием вопросов.

Порфирий

Философия