— Parce que je ne juge pas Gypo Nolan. Je ne le juge pas parce que c’est moi, Gypo Nolan. C’est toi, Gypo Nolan, petit Français. On a tous un Gypo Nolan bien planqué dans nos ventres. Personne ne naît tout à fait salaud, petit Français. Le salaud, c’est parfois un gars formidable qui renonce. Et maintenant, il va falloir te battre contre Gypo Nolan, petit Français. Contre le tien, celui que tu nous caches. Autrement tu vas merder comme moi. Tu vas finir comme moi. Et tu vas mourir comme moi.
Mon traître m’a regardé. Il a souri de ma surprise.
— On ne t’a pas dit que j’allais mourir, fils ?
J’ai dit non du regard. Tyrone a haussé les épaules.
— Mon Dieu ! Tu ne sais vraiment rien de ce pays.
Sheila a klaxonné une fois encore. Tyrone Meehan s’est levé. Il est allé à la porte. Il lui a fait un geste las, sans sortir de la maison. Je me suis levé à mon tour. Mon traître s’est retourné. Lui presque dehors, moi encore dedans. Je rêvais qu’il me prenne par les épaules, comme il l’avait tant fait. Il est resté mains dans les poches. Son sourire était mort avec la porte ouverte.
— Tu ne m’as pas répondu, j’ai murmuré.
Il s’est retourné. Il m’a regardé sans que plus rien ne brille. Ensuite, il s’est effacé. Il m’a laissé la place. Il est resté sur sa marche de pierre, j’avais les pieds dans sa terre gelée. Enfin, il a ouvert les bras. La laine sentait l’humide. Nous sommes restés comme ça, un instant l’un pour l’autre. Et il m’a repoussé doucement.
— Je n’ai pas ta réponse, a dit mon traître.
Et puis il s’est retourné. Il est rentré chez son père, chez lui, chez plus rien. J’ai vu son dos voûté, ses cheveux blancs en désordre, sa casquette molle. J’ai vu ses bottes terreuses, son pantalon froissé. J’ai vu sa main d’adieu. Je n’ai plus vu ses yeux, jamais.
Interrogatoire de Tyrone Meehan par l’IRA
(20 décembre 2006)
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(Silence)
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