Читаем Mon traître полностью

Une fois encore, je l’ai suivi. La foule était joyeuse. J’avais quelque chose dans le ventre, un mélange de la terre qui recouvrait Tyrone et de la bière qui m’habitait. J’ai trébuché. Mike m’a relevé juste avant le sol. Un homme a ri trois mots que je n’ai pas compris. Lorsque nous sommes arrivés à la table, Mike O’Doyle s’est accroupi devant une dame âgée qui lui a pris les mains. Elle buvait une vodka. Ses amies étaient autour, qui parlaient vite et fort. Je suis resté debout. Je me suis penché. Mike m’a présenté. Comme Français, luthier et ami de Tyrone Meehan. « Paix à son âme », a murmuré la femme en levant les yeux vers moi. Derrière ses lunettes, elle avait un regard d’aigle, entre ciel et acier. Ses rides dessinaient un visage malin. Elle portait un chemisier ivoire et une jupe bleue. Elle était petite, menue. Elle répétait « Paris » comme un mot magique. Elle a ri en disant « Charles de Gaulle » à la française, et aussi « Oh là là ! » comme Maurice Chevalier. Elle s’appelait Grâinne O’Doyle. Elle avait 78 ans. Mike, son fils, lui a raconté mon histoire. Les autres dames écoutaient, penchées en avant. Il a dit que, si Sheila Meehan vendait, je serais obligé d’aller à l’hôtel, alors autant occuper la chambre du haut. Grâinne a ri une fois encore. Elle a répondu que cela lui ferait de la compagnie parce qu’il ne fallait plus compter sur son fils pour éteindre la télévision lorsqu’elle s’endormait. Mike a protesté. Elle a passé les doigts dans ses cheveux en riant. Puis il s’est relevé. Il m’a poussé vers elle avant de regagner notre table. Je me suis accroupi à mon tour devant la vieille dame, mains dans les siennes. Elle a dit d’accord. Que ça lui faisait plaisir, qu’il n’était pas possible de laisser un luthier à la rue. Et Français, avec ça ! Elle a dit que je devrais lui raconter mon métier, et Paris, et mes amours aussi. Les compagnes de vodka ont poussé des cris de joie. « Surtout les amours ! », a répété une forte femme avec un chignon blanc. Grâinne a ri. Elle m’a dit qu’elle me parlerait de Séan, son mari, mort il y a dix ans, torturé puis abattu par un mauvais cancer. Elle me parlerait de Mike, son fils, un homme bien mais un enfant aussi, qui blanchit ses nuits et lui glace le sang. Elle disait cela avec les yeux humides, caressant mes pouces avec la soie des siens. Une Claddagh ring brillait à son doigt. J’ai regretté la mienne. Je la retrouverais, je la remettrais, je chercherais aussi ma casquette molle, abandonnée dans un coin de l’atelier. Grâinne s’est rapprochée. Elle m’a dit qu’elle me parlerait de l’Irlande. Qu’elle me raconterait tout. Tout ce que je crois savoir, mais que je ne sais pas. Elle m’a dit qu’elle raconterait aussi Tyrone Meehan, le beau gars qu’il était lorsqu’il avait 20 ans. Elle s’était penchée encore. Nous étions bien en face. Nous étions comme seuls. Elle assise, moi un genou à terre. Elle parlait à voix plus basse. Son visage m’était familier. Un instant, j’ai pensé à Mise Etre. Mais ce n’était pas ça. Elle était plus belle encore, plus vivante et moins douloureuse. Elle m’a rappelé qu’elle m’avait vu le matin, à l’enterrement. Elle était là, dans le cortège, avec ses deux sœurs. Les trois ombres de deuil qui marchaient devant moi. Elle m’a dit l’avoir fait poui Sheila. Pour Tyrone, elle est allée à la chapelle el I brûlé deux cierges. Un pour le mal qu’il a fait, l’autl i pour qu’il en soit pardonné. J’avais la tête lourdi II genou droit douloureux. Sa peau frôlait ma peau – Ce n’est pas parce que ce vieil imbécile I tl lltl qu’il faut nous laisser tomber, a murmuré G ri….. souriant.

Je ne sais pas pourquoi elle a dit cela. Elle a dit qu’il y avait des Tyrone partout, dans les guerres comme dans les paix, et que cela ne changeait rien. Ni à la paix, ni à la guerre. Ni même à Tyrone. Elle a dit que nous l’avions aimé sans retenue parce que c’était lui. Et que nous lui avions donné notre confiance parce que c’était lui. J’ai hoché la tête. J’ai souri. J’ai revu nos gestes. Cette façon que nous avions de relever nos cols de vestes à la pluie. Mes pas dans les siens. Son regard sous la visière. Nos verres levés. Sa main. J’ai regardé la salle. J’ai laissé faire une larme. Grâinne m’a dit que j’étais le bienvenu chez elle, la prochaine fois. Que je n’hésite pas. Que je frappe à sa porte. La seule condition était que je l’accompagne à la messe le dimanche matin. Et aussi – elle ne riait plus – que je lui ramène une bouteille de cognac, du vrai, avec le mot France écrit en or sur l’étiquette.
































REMERCIEMENTS

A Jean-Michel Desplanche, à l’apprenti de Mirecourt, au luthier parisien, merci.

Sorj Chalandon

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