Le mardi 4, la chaleur est étouffante. Le ciel se couvre. C'est dans la nuit que les troupes doivent traverser le Danube et se porter là où l'archiduc ne les attend pas, à Enzersdorf. À 21 heures, l'orage éclate.
Napoléon sort de la tente. Des trombes d'eau s'abattent sur l'île et le fleuve. Le vent ploie les arbres. Les eaux du Danube sont agitées de vagues qui viennent battre les ponts.
Il reste sous la pluie, les bras croisés. Il voit Berthier se précipiter vers lui. Il faut, dit le maréchal, ajourner l'attaque.
- Non, dit-il sans hésiter. Vingt-quatre heures de retard et nous aurons l'archiduc Jean sur les bras.
Il donne l'ordre d'ouvrir le feu sur Aspern et Essling, afin que l'archiduc soit persuadé que c'est là, à gauche, que va porter l'attaque.
Il lève le visage vers le ciel, sous la pluie. L'averse tiède lui couvre le visage, efface la fatigue.
Il rejoint Masséna qui est assis dans sa calèche. Les quatre chevaux blancs de l'attelage, qui ruent à chaque coup de tonnerre ou de canon, lui semblent un heureux présage.
- Je suis enchanté de cet orage, lance-t-il à Masséna.
Il parle fort pour que les aides de camp qui caracolent autour de la calèche entendent.
- Quelle belle nuit pour nous ! Mes Autrichiens ne peuvent voir nos préparatifs de passage en face d'Enzersdorf, et ils n'en auront connaissance que quand nous aurons enlevé ce poste essentiel, quand nos ponts seront placés et une partie de mon armée formée sur la rive qu'ils prétendent défendre.
C'est le mercredi 5 juillet 1809. Il fait encore nuit.
Il est passé sur la rive gauche avec les premières troupes qui attaquent Enzersdorf. Lorsque le village est pris, il monte à cheval et commence à parcourir les lignes qui se rabattent sur les Autrichiens.
Le jour se lève, éclatant, lavé par l'orage de la nuit. La chaleur est intense. Il fait tirer toutes les pièces d'artillerie. Et, ici et là, les blés hauts que le soleil a déjà séchés commencent à s'enflammer. Il voit dans sa lorgnette des hommes qui fuient l'incendie, d'autres qui tombent dans les flammes.
Il va d'un point à l'autre. Au nord de la plaine, à la lisière du plateau de Wagram, les troupes de Davout ont franchi le ruisseau de Russbach qu'il aperçoit, brillant dans le soleil.
Elles se rabattent maintenant afin d'envelopper le village de Wagram. Tout à coup, un aide de camp vient annoncer, couvert de sang, que les Saxons de Bernadotte se sont débandés, ont échangé des coups de feu avec les troupes de Macdonald qui, sans doute, ont confondu les uniformes saxons avec ceux des Autrichiens.
Ne pas laisser éclater sa colère contre Bernadotte, qui, une fois de plus, ne joue pas la partie. Mais ne pas oublier.
Napoléon marche devant sa tente pendant que la nuit tombe et que les combats cessent. Il entend les cris des blessés. Les incendies continuent d'embraser ici et là les champs de blé. Il flotte une odeur de chair brûlée.
Il s'assied, étend les jambes, laisse tomber sa tête sur sa poitrine. Il est 1 heure du matin. Il va dormir trois heures. Il en a ainsi décidé.
Il se réveille comme il l'a prévu. Un corps, une tête sont des machineries qu'il faut savoir maîtriser.
Il commence à parcourir le champ de bataille.
Aujourd'hui, jeudi 6 juillet 1809, sera le jour décisif. Il fait une chaleur accablante déjà. Les boulets commencent à pleuvoir autour de lui. L'un d'eux éclate devant son cheval gris-blanc, qu'il a choisi à dessein pour qu'on le voie, qu'on sache qu'il est, lui, l'Empereur, exposé au feu comme n'importe quel soldat.
- Sire, lance un aide de camp, on tire sur l'état-major !
Napoléon lance, en piquant son cheval des éperons :
- À la guerre, tous les accidents sont possibles !
L'archiduc Charles a déclenché une attaque contre les troupes de Masséna, pivot de la manœuvre.
Masséna doit tenir. Napoléon galope dans sa direction, aperçoit sur la ligne de front la calèche tirée par les quatre chevaux blancs. Voilà un homme. Il saute à terre. Les boulets encadrent la calèche, blessent les aides de camp qui l'entourent. Napoléon monte dans la voiture. Il faut tenir, à tout prix, lance-t-il.
Debout, il parcourt avec sa lorgnette la ligne d'horizon. Les troupes de l'archiduc Charles avancent. Il aperçoit à l'ouest, dans le ciel clair, les maisons de Vienne et des milliers de mouchoirs blancs que les habitants de la capitale, depuis les toits ou les fenêtres, agitent pour saluer l'avance des troupes de l'archiduc.
Ils vont voir !
Il monte à cheval. Il donne l'ordre aux batteries d'artillerie concentrées dans l'île Lobau d'ouvrir le feu.
Il avait prévu cela. Les lignes autrichiennes sont brisées.
Il aperçoit l'aide de camp Marbot.
- Courez dire à Masséna qu'il tombe sur tout ce qui est devant lui et la bataille est gagnée ! hurle-t-il.
Il faut maintenant donner le coup de boutoir.
- Prenez cent pièces d'artillerie, crie-t-il au général Lauriston, dont soixante de ma Garde, et allez écraser les masses ennemies !