Le dimanche 21 juin 1812, il arrive à Wilkowiscki. La bourgade est envahie par les troupes du maréchal Davout. Au-delà des maisons, il aperçoit les bois, les collines sableuses derrière lesquelles coule le Niémen.
La chaleur, dès le matin, est étouffante. La neige d'une nuit a été comme un mirage.
Dans la pièce d'une maison au toit de chaume, il commence à dicter.
C'est la source des années de guerre qui resurgit en lui avec la même force. Elle pousse les mots, cependant qu'il arpente le sol de terre battue, les mains derrière le dos.
« Soldats, la seconde guerre de Pologne est commencée ; la première s'est terminée à Friedland et à Tilsit. À Tilsit, la Russie a juré éternelle alliance à la France et guerre à l'Angleterre. Elle viole aujourd'hui ses serments !
« La Russie est entraînée par la fatalité ; ses destins vont s'accomplir. Nous croirait-elle donc dégénérés ? Ne serions-nous donc plus les soldats d'Austerlitz ? Elle nous place entre le déshonneur et la guerre : le choix ne saurait être douteux.
« La seconde guerre de Pologne sera glorieuse aux armées françaises comme la première. Marchons donc en avant : portons la guerre sur son territoire. Passons le Niémen ! »
Il dort quelques heures. Lorsqu'il se réveille, le lundi 22 juin 1812, il commence à écrire.
« Ma bonne Louise, je suis ici, je pars dans une heure. La chaleur est excessive, c'est la canicule. Ma santé est bonne... Fais-moi connaître quand tu as le projet de partir. Aie soin de marcher la nuit, car la poussière, la chaleur sont bien fatigantes et pourraient altérer ta santé, mais en allant la nuit, à petite journée, tu supporteras bien la route.
« Adieu, ma douce amie, sentiments sincères d'amour.
« Nap. »
Il sort de la pièce. L'air est immobile. Il suffoque. Il regarde devant lui la forêt de pins que recouvre une brume grise.
- À cheval, dit-il, vers le Niémen.