Murat ? « Un
Il regarde longuement Caulaincourt. Les hommes ne sont-ils pas tous ainsi ?
Il s'est assis en face de Rapp dans la grande salle de la forteresse de Dantzig. Il chipote. Il observe Murat et Berthier, assis à sa droite et à sa gauche.
- Je vois bien, messieurs, commence-t-il, que vous n'avez plus envie de faire la guerre : le roi de Naples ne veut plus sortir de son beau royaume ; Berthier voudrait chasser à Grosbois, et Rapp habiter son superbe hôtel de Paris.
Murat et Berthier baissent les yeux.
- J'en conviens, Sire, répond Rapp. Votre Majesté ne m'a jamais gâté ; je connais fort peu les plaisirs de la capitale.
Il doit les convaincre. Les entraîner encore. Oublier que lui aussi aimerait sentir près de lui le corps de Marie-Louise et prendre son fils dans ses bras.
Est-elle enceinte une seconde fois ? Elle ne parle plus, dans ses lettres, de ses nausées.
- Nous touchons au dénouement, reprend-il en regardant l'un après l'autre Rapp, Murat et Berthier. L'Europe ne respirera que quand ces affaires de Russie et d'Espagne seront terminées. Alors seulement on pourra compter sur une paix profonde. La Pologne renaissante s'affermira. L'Autriche s'occupera plus de son Danube, et beaucoup moins de l'Italie. Enfin, l'Angleterre se résignera à partager le commerce du monde avec les vaisseaux du Continent.
Il se lève.
- Mon fils est jeune, dit-il, il faut bien lui préparer un règne tranquille.
Puis il s'attarde. Il a besoin de ses généraux, de ses maréchaux, dit-il.
- Mes frères ne me secondent pas. Ils n'ont des princes que la sotte vanité et aucun talent, point d'énergie. Il faut que je gouverne pour eux. Mes frères ne pensent qu'à eux.
Il hausse la voix.
- Je suis le roi du peuple, car je ne dépense que pour encourager les arts et pour laisser des souvenirs glorieux et utiles à la nation. On ne dira pas que je dote des favoris et des maîtresses. Je récompense les services rendus à la patrie et rien de plus.
Il sort d'un pas rapide. Il veut voir les troupes, les fortifications, parcourir la rade en canot. Puis il s'enferme dans son cabinet pour étudier les dépêches, les cartes, les états de situation des armées.
Il s'interrompt, se fait apporter sa plume.
« Ma bonne Louise, je n'ai pas de lettre de toi. Je suis à cheval dès 2 heures du matin, je rentre à midi, je dors deux heures et je vois des troupes le reste du jour. Ma santé est fort bonne. Le petit roi se porte bien ; il va être sevré. J'espère que tu en as reçu des nouvelles.
« Tout est fort tranquille, le temps s'est un peu mis à la pluie, ce qui fait du bien. Je serai demain à Königsberg.
« Il me tarde bien de te voir. Malgré mes occupations et les fatigues, je sens quelque chose qui me manque : la douce habitude de te voir plusieurs fois dans le jour.
« Ton fidèle époux.
« Nap. »
Il est si impatient de reprendre la route qu'il n'attend pas que les voitures soient prêtes, monte à cheval et part à franc étrier. Il est à Marienburg, à Königsberg. Il reçoit Prévôt, le secrétaire de l'ambassade de France à Saint-Pétersbourg. Alexandre Ier
a refusé, explique ce diplomate, d'accorder une audience à l'ambassadeur, le général Lauriston.- C'en est fait, dit Napoléon. Les Russes, que nous avons toujours vaincus, prennent un ton de vainqueurs, ils nous provoquent, et nous aurons sans doute à les remercier. Nous arrêter sur un tel chemin, ce serait manquer le moment le plus opportun qui se soit jamais présenté.
Il reste silencieux quelques minutes.
- Acceptons comme une faveur l'occasion qui nous fait violence et passons le Niémen.
Il a tout à coup froid. Il sort. La campagne est couverte de neige. Une nuit de juin a suffi à transformer le paysage de printemps en un horizon hivernal.
Mais le soleil se lève. La neige fondra.
Un courrier arrive, porteur des lettres de Marie-Louise. Il les parcourt, répond aussitôt.
« Tu sais combien je t'aime. Je veux te savoir bien portante et bien gaie. Dis-moi que tu n'as plus ton vilain rhume. Ne souffre jamais que l'on dise devant toi rien d'équivoque sur la France et la politique.
« Je suis souvent à cheval, cela me réussit. L'on me dit du bien du roi, il grandit, marche et se porte bien.
« Je vois avec peine que ce que j'espérais n'a pas eu lieu. Enfin, il faut donc remettre cela à l'automne. J'espère recevoir de tes nouvelles demain... »
Elle n'est pas enceinte.
Où sera-t-il à l'automne ?