Il revient à la table des cartes. Il pointe le doigt sur Gross-Enzersdorf. C'est là que se jouera la bataille.
Il fait quelques pas dans ce bureau. Il ne peut penser à autre chose qu'à cet affrontement qui approche et dont il doit tenter de prévoir le déroulement.
Après, la victoire acquise, viendra peut-être la paix. Il la désire. Il a besoin de vivre autrement, d'arrêter cette course endiablée dont il ne peut interrompre le cours.
Il prend, sur la petite table placée près de celle où sont déployées les cartes, les lettres de Marie Walewska.
Il trace quelques mots. Il voudrait qu'elle vienne le retrouver ici, comme elle le fit au château de Finckenstein.
« Tes lettres m'ont fait plaisir, comme toujours, écrit-il. Je n'approuve guère que tu aies suivi l'armée à Cracovie, mais je ne puis te le reprocher. Les affaires de Pologne sont rétablies et je comprends les anxiétés que tu as eues. J'ai agi, c'était mieux que te prodiguer des consolations. Tu n'as pas à me remercier, j'aime ton pays et j'apprécie à leur juste valeur les mérites d'un grand nombre des tiens.
« Il faut plus que la prise de Vienne pour amener la fin de la campagne.
« Quand j'en aurai terminé, je m'arrangerai pour me rapprocher de toi, ma douce amie, car j'ai hâte de te revoir. Si c'est à Schönbrunn, nous goûterons ensemble le charme de ses beaux jardins et nous oublierons tous ces mauvais jours.
« Prends patience et garde confiance.
« N. »
« Plus de ménagements pour ce pape, c'est un fou furieux qu'il faut enfermer. »
Il écrit à Fouché. Le duc d'Otrante doit prendre en main tous les pouvoirs que détenait le ministre de l'Intérieur, Crétet, malade de surmenage.
Il se tourne vers son secrétaire.
- Un homme que je fais ministre, lui lance-t-il, ne doit plus pouvoir pisser au bout de quatre ans !
« Je suis bien tranquille, vous y êtes, dicte-t-il. Tout cela changera dans un mois. »
Alors parades, revues, inspection.
Chaque jour il est dans l'île Lobau. Il marche les mains derrière le dos durant sept à huit heures. Il s'arrête devant chacun des cent canons dont il a fait armer l'île. Il questionne le colonel Charles d'Escorches de Sainte-Croix. Il apprécie ce jeune officier d'à peine trente ans, fils d'un ancien ambassadeur de Louis XVI. Il veut que l'officier soit présent à Schönbrunn chaque matin à son lever, à l'aube, pour rendre compte de ce qui s'est passé dans la nuit sur l'île Lobau.
Napoléon monte sur une immense échelle double dont le sommet dépasse la cime des arbres, et que Sainte-Croix a fait placer sur une hauteur de l'île Lobau de telle sorte que, des derniers degrés, on puisse apercevoir toute la rive gauche du Danube.
Napoléon reste longtemps agrippé à l'échelle. Il voit les redoutes ennemies le long de la rive gauche, mais vers Essling et Aspern. On franchira donc le Danube comme il l'a prévu, vers Enzersdorf.