Mais il n'a pas de fils.
À l'Opéra de Munich, le 6 janvier, pendant que sur scène les chanteurs interprètent
Pourquoi faut-il ainsi que toujours devant lui un défi nouveau se présente, alors qu'il vient d'atteindre un sommet ?
Il se penche vers Joséphine.
Il a décidé, dit-il, de faire célébrer au plus tôt le mariage d'Eugène, le fils de Joséphine, avec Augusta, la fille du roi de Bavière. Ce sera un premier nœud dans cette toile qu'il compte tisser d'un bout à l'autre de l'Europe, comme Charlemagne. Il adoptera Eugène tout en l'excluant de la succession du trône de France. Et, plus tard, il choisira l'un ou l'autre de ses frères pour occuper les trônes d'Europe. À Naples, pourquoi pas Joseph ? Parce qu'il faut en finir avec ces Bourbons, ce roi et cette reine de Naples qui pactisent avec les Anglais. La reine de Naples Marie-Caroline, n'est-elle pas la sœur de Marie-Antoinette ? N'a-t-elle pas déclaré à l'ambassadeur de France qu'elle souhaitait que le royaume de Naples fût l'allumette qui déclencherait l'incendie qui détruirait l'Empire français ? Marie-Caroline de Naples va découvrir qu'on se brûle les doigts, à jouer avec le feu.
Napoléon se lève. Il n'attend pas la fin de l'opéra, il rentre au palais royal. Il doit agir vite. Le temps manque toujours.
Il écrit. À Eugène de Beauharnais, pour lui ordonner de se rendre d'urgence à Munich. Il arrache au roi de Bavière son consentement. Il dote sa fille avec munificence. Augusta de Bavière doit recevoir le lendemain de ses noces 50 000 florins, et il lui est promis 100 000 francs par an pour ses dépenses personnelles et un domaine de 500 000 francs à la mort de son mari.
Voici Eugène, vice-roi d'Italie, qui se présente à l'Empereur avec ses longues moustaches retroussées de colonel des chasseurs de la Garde. Napoléon lui pince l'oreille, lui donne une petite tape sur la nuque - ses marques d'affection habituelles. Il faut, dit l'Empereur, couper ces moustaches trop longues pour plaire à Augusta. Cela aussi, c'est un ordre.
Il est le Maître.
Il confie à Cambacérès qu'il retarde de quelques jours son arrivée à Paris pour conclure le mariage d'Eugène et d'Augusta. « Ces jours paraîtront longs à mon cœur, dit-il, mais après avoir été sans cesse livré aux devoirs d'un soldat, j'éprouve un tendre délassement à m'occuper des détails et des devoirs d'un père de famille. »
Le 13 janvier 1806, à 1 heure de l'après-midi, dans la grande galerie du palais royal, Napoléon assiste à la signature officielle du contrat de mariage. Et le 14, à 7 heures du soir, il préside dans la chapelle royale la cérémonie religieuse suivie d'un
- Je vous aime comme un père, lui dit-il, et je compte que vous aurez pour moi toute la tendresse d'une fille.
Le couple doit regagner l'Italie.
- Ménagez-vous dans votre voyage, ainsi que dans le nouveau climat où vous arrivez, en prenant tout le repos convenable, murmure Napoléon. Songez bien que je ne veux pas que vous soyez malade.
Après le banquet, Napoléon se retire dans son cabinet de travail.
C'est le silence de la nuit après l'éclat bruyant des festivités, le chatoiement des robes et des uniformes, le charme de la beauté des femmes, la grâce d'Augusta et la joie d'Eugène de Beauharnais. Il aime ce beau-fils devenu son fils adoptif. Par ce mariage, un premier lien est établi avec les familles régnantes d'Europe. Max-Joseph, roi de Bavière, père d'Augusta, est un Wittelsbach, dont les ancêtres sont présents dans toutes les dynasties.
Mais certains ne comprennent pas ce dessein.
Napoléon trouve sur sa table une lettre de Murat, sans doute dictée par Caroline, son épouse, et sœur de Napoléon.
« La France, écrit Murat, quand elle vous a élevé sur le trône, a cru trouver en vous un chef populaire, décoré d'un titre qui devait le placer au-dessus de tous les souverains de l'Europe. Aujourd'hui, vous rendez hommage à des titres de puissance qui ne sont pas les vôtres, qui sont en opposition avec les nôtres, et vous allez seulement montrer à l'Europe combien vous mettez de prix à ce qui nous manque à tous, l'illustration de la naissance. »