« Monsieur le prince Murat, répond Napoléon, je vous vois toujours avec confiance à la tête de ma cavalerie. Mais il ne s'agit pas ici d'une opération militaire, il s'agit d'un acte politique, et j'y ai bien réfléchi. Ce mariage d'Eugène et d'Augusta vous déplaît. Il me convient, et je le regarde comme un grand succès, comme un succès égal à la victoire d'Austerlitz. »
Il est le Maître.
Et ce mariage n'est qu'un premier pion qu'il pousse. Il pense à réunir la Hollande, la Suisse, l'Italie, en un ensemble. « Mes États fédératifs, murmure-t-il, ou véritablement l'Empire français. »
Il décide que le Code civil sera appliqué dans le royaume d'Italie. N'a-t-il pas été couronné roi d'Italie à Milan ? Et Eugène n'est-il pas vice-roi d'Italie ?
Le 19 janvier 1806, il propose à Joseph, son frère aîné, la couronne du royaume de Naples. Et les troupes françaises sont chargées de l'occuper. Les Bourbons s'enfuient en Sicile sous la protection de la flotte anglaise.
Ne reste en Italie comme souverain hostile que le pape Pie VII. Et le souverain pontife proteste, écrit à Napoléon pour s'indigner de l'occupation, par les troupes françaises, d'Ancône, territoire pontifical.
« Je me suis considéré, répond Napoléon, comme le protecteur du Saint-Siège... Je me suis considéré, ainsi que mes prédécesseurs de la deuxième et de la troisième race, comme le fils aîné de l'Église, comme ayant seul l'épée pour la protéger et la mettre à l'abri d'être souillée par les Grecs et les Musulmans. »
Napoléon s'indigne. Il dit au cardinal Fesch, son grand-oncle qui le représente à Rome : « Je suis religieux mais je ne suis point cagot. Le Pape m'écrit la lettre la plus ridicule, la plus insensée... » Napoléon tempête ; il faut que Pie VII plie.
« Pour le Pape, ajoute-t-il, je suis Charlemagne, parce que, comme Charlemagne, je réunis la couronne de France à celle des Lombards et que mon Empire confine avec l'Orient. J'entends donc que l'on règle avec moi sa conduite sur ce point de vue. Je ne changerai rien aux apparences si l'on se conduit bien, autrement, je réduirai le Pape à être évêque de Rome... Il n'y a rien en vérité d'aussi déraisonnable que la cour de Rome. »
Mais régner exige que l'on soit implacable. Point de pitié. Point d'hésitation.
Au général Junot qu'il nomme gouverneur général des États de Parme et de Plaisance, il dit : « Ce n'est pas avec des phrases qu'on maintient la tranquillité en Italie. Faites comme j'ai fait à Binasco [pendant la campagne d'Italie] : qu'un gros village soit brûlé ; faites fusiller une douzaine d'insurgés et formez des colonnes mobiles, afin de saisir partout les brigands et de donner un exemple aux peuples de ces pays. »
Joseph, le tortueux Joseph, l'hésitant Joseph, sera-t-il capable de la fermeté nécessaire ? Napoléon convoque Miot de Melitto qui part avec le nouveau roi de Naples.
Napoléon parle d'une voix cassante.
- Vous direz à mon frère Joseph que je le fais roi de Naples, mais que la moindre hésitation, la moindre incertitude le perd entièrement... Point de demi-mesures, point de faiblesse. Je veux que mon sang règne à Naples aussi longtemps qu'en France. Le royaume de Naples m'est nécessaire...
Napoléon se souvient des réticences de son frère au moment du sacre impérial, de son refus d'accepter la vice-royauté d'Italie, de sa jalousie de frère aîné qui subit la gloire de son cadet.
Napoléon s'approche de Miot de Melitto.
- Tous les sentiments d'affection cèdent actuellement à la raison d'État, dit-il. Je ne reconnais pour parents que ceux qui me servent... C'est avec mes doigts et ma plume que je fais des enfants... Je ne puis plus avoir de parents dans l'obscurité. Ceux qui ne s'élèveront pas avec moi ne seront plus de ma famille. J'en fais une famille de rois, ou plutôt de vice-rois...
Quelques jours plus tard, Napoléon reçoit une lettre de Joseph, roi de Naples.
« Une fois pour toutes, écrit Joseph, je peux assurer Votre Majesté que tout ce qu'elle fera, je le trouverai bien... Faites tout pour le mieux, et disposez de moi comme vous le jugerez le plus convenable pour vous et pour l'État. »
Napoléon est bien le Maître.
2.
Il a quitté Munich le vendredi 17 janvier 1806 alors que la nuit tombe. Dans la voiture, il lit les dépêches à la lueur vacillante des lampes à huile. Lorsque aux relais on change les chevaux, il ne descend pas de voiture. Il grignote une cuisse de poulet froid, il boit du chambertin dans un gobelet d'argent, puis il somnole.