Lorsque, le mercredi 29 janvier 1806, deux jours à peine après son retour à Paris, il s'est rendu pour la première fois au Théâtre-Français, où l'on joue
D'ailleurs, rapportent les espions de police, chacun loue l'Empereur, célèbre ses mérites. La confiance est revenue. La Banque de France a repris ses paiements à guichet ouvert, et la crise financière de décembre 1805 est oubliée.
On sait que Napoléon a ramené à Paris de sa campagne d'Allemagne 50 millions en or, en argent ou en lettres de change sur les principales places financières d'Europe.
Et il a suffi de quelques jours pour que Napoléon mette de l'ordre dans l'organisation des finances.
Il a reçu Barbé-Marbois, le ministre du Trésor.
L'homme est penaud, offre sa tête, dit-il. Napoléon secoue les épaules. Que faire d'une tête comme la vôtre ? répond-il.
- J'estime votre caractère, poursuit-il, mais vous avez été dupe de gens contre lesquels je vous avais averti d'être en garde. Vous leur avez livré toutes les valeurs en portefeuille, dont vous auriez dû mieux surveiller l'emploi. Je me vois à regret forcé de vous retirer l'administration du Trésor...
Après une séance du Conseil d'État, Napoléon retient le conseiller Mollien. Il le fixe, le jauge.
- Vous prêterez serment aujourd'hui, comme ministre du Trésor, lui dit-il.
Mollien, qui, sous l'Ancien Régime, avait été l'un des responsables de la Ferme générale, l'administration fiscale, semble hésiter.
- Est-ce que vous n'auriez pas envie d'être ministre ? lui lance l'Empereur, sur un ton où se mêlent le mécontentement et la surprise.
Mollien prêtera serment le jour même.
Gouverner, c'est cela : analyser, décider, choisir les hommes et leur imposer sa volonté, bousculer leurs réticences, les diriger afin qu'ils deviennent les instruments efficaces, dociles, donc, de la politique que l'on a conçue.
Mais cela suppose un travail sans relâche, une vigilance de tous les instants, une volonté constamment tendue.
« Il m'a fallu beaucoup de peine, explique Napoléon à son frère Joseph, pour arranger mes affaires et pour faire rendre gorge à une douzaine de fripons à la tête desquels est Ouvrard, qui ont dupé Barbé-Marbois, à peu près comme le cardinal de Rohan l'a été dans l'affaire du collier, avec cette différence qu'ici il ne s'agissait pas moins que de quatre-vingt-dix millions. J'étais bien résolu à les faire fusiller sans procès. Grâce à Dieu, je suis remboursé. Cela n'a pas laissé que de me donner beaucoup d'humeur. »
Car souvent il s'emporte, jette les dépêches à terre et parfois, quand les livres lui déplaisent, il les lance dans le feu.
Il accepte de moins en moins facilement qu'on lui résiste ou bien qu'on n'exécute pas immédiatement, et comme il l'entend, les ordres qu'il donne.
Il dit à Berthier, qui s'inquiète de l'attitude des Prussiens et veut intervenir : « Tenez-vous-en strictement aux ordres que je vous donne, exécutez ponctuellement vos instructions, que tout le monde se tienne sur ses gardes et reste à son poste, moi seul je sais ce que je dois faire. »
Cette certitude qu'il est l'unique à voir et à penser juste l'habite totalement.
N'a-t-il pas eu raison à chaque instant décisif de sa vie ? Et c'est cette conviction qui lui rend insupportables les oppositions, les réserves même. Il faut que l'on plie devant lui.
Il a pris la plume pour corriger, préciser le texte du Catéchisme impérial.
À la lecture de ce texte, certains conseillers d'État s'étonnent. Fouché, ce vieux jacobin, a dans les yeux une lueur ironique.
Napoléon ferme d'un coup sec le Catéchisme. Il n'est pas homme à cacher sa pensée. Il se lève, et avant de sortir de la salle du Conseil il dit de sa voix de commandement :
- Je ne vois pas dans la religion le mystère de l'incarnation mais le mystère de l'ordre social, elle rattache au ciel une idée d'égalité qui empêche que le riche ne soit massacré par le pauvre.
Il cherche du regard une opposition, mais tous les yeux se baissent.