Au capitaine d'une frégate, la
- On veut savoir ce que je désire ? Je demande ma liberté ou mon bourreau. Rapportez ces paroles à votre prince-régent. Je ne demande plus de nouvelles de mon fils, puisqu'on a eu la barbarie de laisser mes premières demandes sans réponse. Je n'étais pas votre prisonnier : les sauvages eussent eu plus d'égards pour ma position. Vos ministres ont indignement violé en moi le droit sacré de l'hospitalité ; ils ont entaché votre nation à jamais.
Combien de jours encore à rester dans cette « île trop petite pour moi, qui, chaque jour, faisais dix, quinze, vingt lieues à cheval ! Le climat n'est pas le nôtre. Ce n'est ni notre soleil ni nos saisons. Tout, ici, respire un ennui mortel. La position est désagréable, insalubre, il n'y a point d'eau. Ce coin de l'île où l'on m'a relégué est désert, il a repoussé ses habitants ».
Il sait bien pourquoi l'on a choisi Longwood, pour pouvoir le surveiller, guetter chacun de ses mouvements, chaque visite.
- Qu'Hudson Lowe m'envoie un cercueil ! Deux balles dans la tête, voilà ce qu'il faut.
Mourir ?
La mort va le prendre ici. Il se sent souvent las. Il grossit. Cet homme bedonnant aux membres maigres dont il aperçoit la silhouette dans un miroir, c'est lui !
Mourir ? Quand ? Comment ? Il y songe chaque jour.
Il ne ressent aucune angoisse, plutôt une sorte de curiosité.
- L'homme ne doit jurer de rien sur tout ce qui concerne ses derniers instants, dit-il à Las Cases.
« Dire d'où je viens, reprend-il, ce que je suis, où je vais, est au-dessus de mes idées, et pourtant tout cela est. Je suis la montre qui existe et qui ne se connaît pas. Mais je puis paraître devant ce tribunal de Dieu, je puis attendre son jugement sans crainte.
Il montre à Las Cases les feuillets que celui-ci a couverts d'une écriture abrégée pour pouvoir suivre la dictée rapide de Napoléon.
- Je n'ai voulu que la gloire, la force, le lustre de la France ; toutes mes facultés, tous mes efforts, tous mes moments étaient là. Ce ne saurait être un crime, je n'ai vu là que des vertus.
Il fait quelques pas.
- Je suis sorti des rangs du peuple, reprend-il, aucun des actes de ma vie n'a trahi mon origine ; aucun des intérêts du peuple n'a été méconnu par mes actes comme Empereur, tous ont été la préoccupation constante de ma pensée quand je régnais.
Cela aussi, c'est le passé.
Il dit à Gourgaud :
- Vous êtes jeune. Parlons de nos amours, des femmes. Elles auraient été le charme de ma vie, si j'en avais eu le temps, mais les heures étaient si courtes, j'avais tant de choses à faire !
Il regarde longuement le portrait de Marie-Louise, puis du roi de Rome. Il parle de Joséphine.
- Elle a donné le bonheur à son mari et s'est constamment montrée son amie la plus tendre. Elle professait à tout moment et en toutes occasions la soumission, le dévouement, la complaisance la plus absolue. Aussi lui ai-je toujours conservé les plus tendres souvenirs et la plus vive reconnaissance.
Il dicte. Il n'oublie rien, il vérifie après coup. Tout ce qu'il a vécu, lu est présent. Il s'arrête. Il est quatre heures, ce 25 novembre 1816. Il voit tout à coup un groupe de cavaliers se diriger vers Longwood. À leur tête, Hudson Lowe.
Il dit à Bertrand :
- Allez voir ce que veut cet animal.