Il reste assis, immobile, devant sa tente dressée dans un champ. Le général Drouot lui demande des ordres pour l'artillerie. Ney annonce que l'ennemi est défait.
- À demain, tout, dit-il.
Il veut revoir Duroc. Il rentre dans la maison. Il embrasse le visage du mort.
Il ne dort pas. Cette disparition l'accable comme un signe fatal. Comme un châtiment aussi. « On » ne veut pas qu'il meure, lui ! Il doit aller au bout et voir tous ses proches mourir. « On » veut qu'il ne connaisse pas le repos d'une mort brutale sur le champ de bataille.
Soit.
Il est à nouveau aux avant-postes, entrant dans Görlitz. Il est même en avant de l'infanterie. Sur la route, brusquement, des cavaliers russes surgissent. Ils ne sont qu'à quelques centaines de mètres. Napoléon leur tourne le dos calmement. Il dirige le mouvement d'une unité d'artillerie qui approche, fait mettre les canons en position. Berthier crie que les Russes avancent.
- Eh bien, nous avancerons aussi, répond calmement Napoléon.
Que risque-t-il ? La mort ?
Qu'est-ce donc ? La fin d'une partie.
Le soir, il s'installe dans une petite ferme qui a été pillée. Il ne dispose que d'une pièce sombre, minuscule. Quelle importance ? Il ne peut penser à autre chose qu'à la mort de Duroc. Il faut qu'il partage sa peine, qu'il se confie un peu.
« Ma bonne amie, tu auras appris le fatal boulet qui m'a tué d'un seul coup le grand maréchal et le général Kirgener. Juge de ma douleur ! Tu connais mon amitié pour le duc de Frioul. Le grand maréchal Duroc est mon ami depuis vingt ans. Jamais je n'ai eu à me plaindre de lui, il ne m'a jamais donné que des sujets de consolation. C'est une perte irréparable, la plus grande que je pouvais faire à l'armée. J'ai ordonné que jusqu'à ce que je le remplace le grand écuyer en ferait fonction.
« Nap. »
Il s'est installé à Neumarkt, entre l'Oder et la Neisse. Il regarde ces grands ciels de l'Europe de l'Est qui déroulent leurs longues traînées blanches au-dessus des espaces sans limites. Il fait doux. Il marche devant la maison cossue qui lui sert de quartier général.
Il a, en moins d'un mois, fait reculer les Russes et les Prussiens de trois cent cinquante kilomètres. Il les a toujours battus, mais il ne les a pas détruits. Il manque de cavalerie pour les poursuivre. Eux sont défaits, aux abois. Koutousov est mort, vient-il d'apprendre, et la maladie a empêché le maréchal russe de conduire ses armées.
Il regarde autour de lui : il voit Caulaincourt, Berthier. Il les entend.
Il fait apporter par Berthier les états des différentes unités. Les pertes ont été lourdes. Les conscrits ne résistent pas aux marches continuelles. Sur un effectif de quarante-sept mille hommes, le 3e
corps ne compte plus que vingt-quatre mille soldats ! Les munitions se font rares.Il convoque Caulaincourt. Je suis prêt, dit-il, à signer une convention d'armistice, valable jusqu'au 20 juillet. Des négociations de paix doivent durant cette période s'ouvrir à Prague.
Le 4 juin 1813, l'armistice est signé à Pleiswitz.
Avant de quitter Neumarkt pour rejoindre Dresde, il dicte une lettre pour Clarke, le ministre de la Guerre.