Il les lit tout en marchant, parfois il pousse un rugissement de fureur. Il dicte une lettre officielle à la régente, l'impératrice Marie-Louise.
« Madame et chère amie, j'ai reçu la lettre par laquelle vous m'avez fait connaître que vous avez reçu l'archichancelier étant au lit : mon intention est que, dans aucune circonstance et sous aucun prétexte, vous ne receviez qui que ce soit étant au lit. Cela n'est permis que passé l'âge de trente ans ! »
La colère ne le quitte plus. Toutes ces dépêches l'irritent.
« Le ton de votre correspondance ne me plaît pas, écrit-il à Savary. Vous m'ennuyez toujours du besoin de la paix. Je connais mieux que vous la situation de mon Empire... Je veux la paix et j'y suis plus intéressé que personne : vos discours là-dessus sont donc inutiles ; mais je ne ferai pas une paix qui serait déshonorante ou qui nous ramènerait une guerre plus acharnée dans six mois. »
« Ne répondez pas à cela, reprend-il pour Savary. Ces matières ne vous regardent pas, ne vous en mêlez pas ! »
Il s'exclame, levant les bras dans un mouvement de colère :
- Le ministre de la Police paraît chercher à me rendre pacifique. Cela ne peut avoir aucun résultat et me blesse, parce que cela supposerait que je ne suis pas pacifique.
Il ajoute, plus haut encore :
- Je ne suis pas un rodomont, je ne fais pas de la guerre un métier, et personne n'est plus pacifique que moi !
Il sort presque chaque soir, quelques heures. Il faut qu'il se montre. Il préside un grand dîner, conduit ses invités au théâtre, ouvrant le cortège, la reine de Saxe à son bras. Quelquefois il se rend à l'Opéra, ou bien au petit théâtre qu'il a fait aménager dans son palais, cette « petite maison » Marcolini, comme il aime à dire.
Il a demandé qu'on invite quelques comédiens français à se rendre à Dresde.
« Je désire assez que cela fasse du bruit dans Paris, et donc à Londres et en Espagne, en y faisant croire que nous nous amusons à Dresde. La saison est peu propre à la comédie, ajoute-t-il d'une voix amère, il ne faut donc envoyer que six ou sept acteurs tout au plus. »
Parmi eux, Mlles Georges, Mars, Bourgoing. Il les a connues si jeunes et si belles. Il reçoit quelquefois, après la représentation, Mlle Georges. Il bavarde avec elle, plaisante, rit, et durant quelques minutes l'insouciance l'emporte loin de Dresde. Puis tout retombe. Elle a le visage et le corps lourds. Et il est las.
Au théâtre, d'ailleurs, souvent, il somnole, se réveillant en sursaut, regardant autour de lui si on l'a surpris.
Mais une fois dans ses appartements, dans l'aile droite du palais du comte Marcolini, il ne dort pas. Les fenêtres sont ouvertes. Il fait chaud. Parfois on entend les voix de soldats qui chantent, et les pas des chevaux d'une patrouille qui résonnent sur les pavés. Souvent un orage éclate.
Il retourne à son cabinet de travail, se penche sur les cartes préparées par Bacler d'Albe.
Il se redresse.