Comment pourrait-il dormir ? Alors qu'on prépare son exécution ! Et imagine-t-on qu'il va se laisser étrangler ? Jusqu'au dernier moment il fera ce qu'il doit ! Et d'ailleurs, rien n'est joué, même si jamais il n'a eu à affronter une situation aussi difficile.
Il se détend, s'assied. C'est le moment où il peut écrire :
« Il fait très chaud ici, tous les soirs un orage. Donne deux baisers à mon fils. Je voudrais bien que tu fusses ici, mais cela n'est pas convenable.
« Nap. »
Mais il se reprend. Il ne peut jamais s'abandonner longtemps. Il est celui qui doit aussi réprimander, flatter, diriger. Même Marie-Louise. Et elle se plaint des lettres officielles sévères qu'il lui a adressées. Il faut donc la consoler.
« Tu ne dois pas avoir de chagrin de ce que je t'écris, parce que c'est pour te former et pour l'avenir, car tu sais que je suis content de toi et que même tu ferais quelque chose qui ne me conviendrait pas, je le trouverais tout simple. Tu ne peux jamais rien faire qui me fâche, tu es trop bonne et trop parfaite pour cela, mais je continue, car je vois quelque chose qui n'est pas mon opinion, à te le dire, sans que tu en aies de la peine. »
Il pose la plume.
Peut-être était-ce une faute que d'épouser la descendante des Habsbourg, cette Autrichienne ?
Demain il reçoit Metternich, l'ennemi, le conseiller écouté de l'empereur d'Autriche,
Il a posé sur la table la lettre de l'empereur François Ier
, que Metternich vient de lui remettre. Il dévisage le diplomate autrichien, cet homme au maintien plein de morgue qui fut le principal artisan du mariage avec Marie-Louise. Il a eu de l'estime pour l'intelligence et l'habileté de ce prince.Mais peut-être Metternich n'est-il qu'un de ces hommes qui confondent mensonge et grande politique.
Napoléon va vers lui d'un pas lent.
- Ainsi, vous voulez la guerre, dit-il d'une voix calme. C'est bien, vous l'aurez. J'ai anéanti l'armée prussienne à Lützen ; j'ai battu les Russes à Bautzen ; vous voulez avoir votre tour. Je vous donne rendez-vous à Vienne.
Il s'immobilise en face de Metternich.
- Les hommes sont incorrigibles, reprend-il, les leçons de l'expérience sont perdues pour eux. Trois fois, j'ai rétabli l'empereur François sur son trône ; je lui ai promis de rester avec lui tant que je vivrais ; j'ai épousé sa fille ; je me disais alors : « tu fais une folie » ; mais elle est faite.
Il élève la voix.
- Je la regrette aujourd'hui.
Il ne regarde pas Metternich, qui parle de la paix
- Pour assurer cette paix, poursuit Metternich, il faut que vous rentriez dans les limites qui seront compatibles avec le repos commun ou que vous succombiez dans la lutte.