- Il s'agit pour moi du salut de l'Empire, explique-t-il à Fouché. Il est fâcheux, monsieur le duc d'Otrante, qu'une fatale disposition au découragement domine ainsi les meilleurs esprits. La question n'est plus dans l'abandon de telle ou telle province. Il s'agit de notre suprématie politique, et pour nous l'existence en dépend.
L'attente de la guerre est toujours longue. Napoléon passe la plupart de ses soirées au théâtre. Mais ni la fatalité qui pèse sur
Il ne veut négliger aucun atout.
Il veut ainsi la présence de Marie-Louise près de lui, introduire un grain de sable de plus dans les conversations qui se déroulent à Prague et dont il n'attend rien, dont il ne veut rien, sinon gagner du temps.
« Mon amie, lui écrit-il, je désire te voir. Tu partiras le 22, tu iras coucher à Châlons, le 23 à Metz, le 24 à Mayence où je viendrai te voir. Tu voyages avec quatre voitures au premier service, quatre voitures au second, quatre au troisième. Tu mènes la duchesse, deux dames, un préfet du Palais, deux chambellans, deux pages, un médecin... Prépare tout cela. Le comte Gafarelly commandera les escortes et prendra la route. Tu instruiras l'archichancelier de tout cela. Adieu, mon amie. Tu auras le temps de recevoir de mes nouvelles encore avant ton départ. Tout à toi.
« Nap. »
Il arrive à Mayence le lundi 26 juillet, à vingt-trois heures. Il est parti la veille à trois heures du matin. Il a roulé jour et nuit.
Il surprend Marie-Louise. Elle peut à peine ouvrir les yeux dans un visage gonflé par la fatigue et le rhume. En quatre jours, explique-t-elle en s'excusant, à peine si elle a pu dormir dix heures. Elle a la migraine. Il lui prend le bras et s'enferme avec elle pour ce qui reste de la nuit.
Il est au travail dès l'aube du lendemain. Il dicte des dizaines de lettres et d'ordres. Et puis il faut recevoir les petits princes de la Confédération qui viennent constituer une Cour curieuse, à laquelle il faut donner le change, offrir des dîners et des spectacles.
Souvent, à table, le silence tout à coup le fait sursauter. Il reprend conscience qu'il est assis là, en face de Marie-Louise, et qu'on attend respectueusement qu'il parle, alors qu'il a dans la tête des mouvements de troupes, des phrases qu'il doit dicter.
Il dit quelques mots. Il n'entend pas la réponse. Il s'enfonce à nouveau en lui-même.
Il s'éloigne au bras de l'Impératrice. Il ne veut pas l'inquiéter. Elle n'est pas responsable de la politique de son père et de Metternich. Il l'accompagne en promenade sur le Rhin, à Wiesbaden, à Cassel, à Biberich. Il fait chaud. Il écoute ces voix de femmes, joyeuses, aiguës. Et il a dans sa tête le roulement sourd des tambours et le grondement des canons.
Mais il sourit. Il doit paraître insouciant, sûr de lui.
La veille de son départ pour Dresde, le samedi 31 juillet, il dit à Marie-Louise :
- La paix se ferait si l'Autriche ne voulait pêcher en eau trouble. L'Empereur est trompé par Metternich, qui s'est vendu pour de l'argent aux Russes, c'est d'ailleurs un homme qui croit que la politique consiste à mentir.
Elle paraît accablée. Elle va écrire à l'Empereur une nouvelle fois.
- S'ils veulent me prescrire des conditions honteuses, je leur ferai la guerre, dit-il. L'Autriche paiera le tout. J'en serai fâché par la peine que je te ferai mais il faut bien repousser l'injustice !
Mais tout à coup, il change de ton. Il faut, dit-il d'une voix pressante, qu'une fois rentrée en France, elle visite l'arsenal de Cherbourg. Il veillera à l'organisation de son voyage.
Il faut qu'on sache à Paris, à Londres, qu'une fois la coalition continentale vaincue, il en terminera avec l'Angleterre et qu'il s'en donne déjà les moyens maritimes. Il voit les yeux effarés de Marie-Louise.
Il faut croire, il faut croire que tout cela est possible.
Il se laisse aller dans la berline qui roule vers Dresde. Il pleut à verse ce dimanche 1er
août. Il fait une halte à Würzburg, chez le général Augereau, qui parle aussi de paix, de repli des troupes sur le Rhin, d'abandon, donc, des places fortes de l'Elbe !Dans la berline, il écrit.