« Ma bonne Louise,
« J'ai été bien triste toute la nuit, je m'étais accoutumé à être avec toi, cela est si doux ! Et je me suis trouvé tout seul. Espérons que sous un mois nous nous rejoindrons pour longtemps.
« Adieu, ma bonne amie, aime-moi, et aie bien soin de toi. Ton fidèle époux,
« Nap. »
Il arrive à Dresde le mercredi 4 août 1813. Il est neuf heures. La pluie a cessé. Il s'installe dans le cabinet de travail. Du jardin du palais Marcolini montent les bruits de l'été et l'odeur de la terre et des feuilles mouillées par l'orage de la nuit.
Il lit la première lettre. Il se lève. Il va à la fenêtre. Au-dessous de lui, il y a la voûte brillante des arbres dont chaque feuille est couverte de gouttelettes. Il reste longuement ainsi penché, puis il retourne à la table, relit la nouvelle.
Junot s'est jeté de la fenêtre de son château de Bourgogne où il s'était retiré. Il est mort.
Lannes, Bessières, Duroc, Junot, et tant d'autres avant eux. Il se souvient de Muiron, tombé il y a si longtemps pour lui sauver la vie sur le pont d'Arcole, recevant les balles à sa place.
Il reste toute cette journée dans le palais Marcolini.
Il ne dort pas. Il est debout à l'aube. Il veut savoir où en sont les négociations de Prague. Les plénipotentiaires français, explique Maret, le ministre des Relations extérieures, n'ont même pas été reçus. Caulaincourt se traîne aux pieds de Metternich, en vain. On ne peut savoir ce qu'ils exigent de nous.
Napoléon murmure : « Tout. »
Il faut donc les prendre à leur propre piège, leur demander la notification officielle de leurs propositions.
Et les accepter. Pourquoi pas ? Que risque-t-on ? De discuter longtemps.
Il n'a aucune illusion. L'Angleterre exigerait davantage encore. Les traités qu'elle a signés avec la Prusse et la Russie, les sommes qu'elle leur a versées la font maîtresse du jeu. Quant à l'Autriche, elle s'est liée avec eux.
Alors ? Attendre et préparer la guerre.
Il visite les fortifications de Dresde. Il préside le 10 août à une grande revue de quarante mille hommes pour la célébration de sa fête. Parce qu'il en est sûr, le 15 août, il ne sera déjà plus question de défiler mais de se battre.
« Ma bonne amie. L'armée a célébré aujourd'hui ma fête, j'ai eu une très belle parade de quarante mille hommes. Le roi et les princes de Saxe y ont assisté. Ce soir, je vais au banquet de la Cour, et après au feu d'artifice. Le temps est heureusement au beau. Ma santé est fort bonne. Je suppose que tu partiras le 17 pour Cherbourg. Je désire que tu t'amuses bien. Tu me diras ce que tu as vu. Adieu, mon amie. Tout à toi.
« Nap. »
Et ce qu'il a prévu survient.
Un envoyé de Caulaincourt, hors d'haleine, annonce que Metternich a déclaré clos le congrès de Prague, le mercredi 11 août à zéro heure. Et Metternich a refusé de prendre connaissance des réponses de Napoléon à ses propositions.
Il se tourne vers Maret.
- Ce n'est pas à la cession d'une portion quelconque de notre territoire ne portant pas atteinte à la force de l'Empire qu'a tenu la question de la paix ou de la guerre. Mais à la jalousie des puissances, à la haine des sociétés secrètes, aux passions fomentées par les artifices de l'Angleterre.
Il fait quelques pas dans le salon.
- Je n'ai pas la nouvelle que l'Autriche m'ait déclaré la guerre, mais je suppose que j'en recevrai la nouvelle dans la journée.
Elle n'arrive que le jeudi 12 août 1813.
Il fustige d'une voix dure mais sans passion les folles prétentions. de l'Autriche et son infâme trahison.
Il dicte quelques lignes à Cambacérès : « Je désire que l'Impératrice fasse son voyage à Cherbourg et que ce ne soit qu'à son retour qu'elle apprenne tout cela. »
Puis il prend la plume, ce 12 août, et il dit à Marie-Louise :
« Ne te fatigue pas et va doucement. Tu sais combien ta santé m'est précieuse. Écris-moi en détail. Ma santé est bonne. Le temps est très beau. La chaleur a repris le dessus.
« Nap. »
13.
Il a quarante-quatre ans aujourd'hui, dimanche 15 août 1813. Il est à cheval sous la pluie d'orage, froide, et il dépasse les colonnes de soldats qui par la porte et le faubourg de Prina quittent Dresde pour marcher vers l'est, vers Bautzen, Görlitz, et ces fleuves de la Spree, la Neisse, la Katzbach, un affluent de l'Oder.