Un mot à Marie-Louise, ce vendredi 27 août 1813, avant de rejoindre les avant-gardes.
« Mon amie, je viens de remporter une grande victoire à Dresde sur l'armée autrichienne, russe et prussienne commandée par les trois souverains en personne. Je monte à cheval pour les poursuivre. Ma santé est bonne. Bérenger, mon officier d'ordonnance, a été blessé mortellement. Fais-le dire à sa famille et à sa jeune femme. Adieu,
« Nap. »
Il ne peut galoper. Il sent son corps si affaibli que parfois il a le sentiment qu'il va tomber de sa selle. Il s'arrête près du bourg de Pirna. Il fait beau, des troupes passent, l'acclament. La victoire d'hier les a transfigurées. Il veut manger là, dans le champ, afin de les regarder défiler et de se faire voir d'elles.
Il s'assied, avale quelques bouchées. Et tout à coup son front se couvre de sueur. Il tombe en avant. Il vomit. Il pense : ils m'ont empoisonné. Les Anglais, Metternich, peut-être leur stipendiés autour de lui, tous veulent sa mort, qui leur permettrait enfin d'organiser l'Europe à leur guise, dans une France soumise.
On l'entoure. Il fait des gestes pour qu'on s'écarte. Il a besoin d'air. Il ne veut pas mourir ainsi, tel un empereur romain victime d'un complot. Il veut la mort sur un champ de bataille, comme Muiron, Duroc ou Lannes, ou Bessières, ou tant de jeunes hommes.
Mourir à quarante-quatre ans, alors que ces soldats ont à peine connu la moitié de son âge. Il se redresse. Il faut rentrer à Dresde, répète Caulaincourt. L'Empereur doit être soigné, il ne peut continuer la poursuite. D'autres pensent qu'il faut le conduire à Pirna où se trouve déjà la Jeune Garde, et de là il pourra diriger les mouvements des troupes.
Il faut qu'il vive, pense-t-il. D'abord vivre, pour pouvoir mourir en soldat s'il le faut.
Il dit : « Dresde. »
Il ferme les yeux. On le soutient, on le porte jusqu'à une voiture. Elle remonte le fleuve des hommes en armes qui coule vers l'est.
Il est dans son cabinet de travail, allongé.
On vient de lui apporter un lot de dépêches. Macdonald a été battu par Blücher. Il a perdu trois mille hommes, vingt mille prisonniers et cent canons. Et combien d'aigles ? Le corps du général Vandamme, qui s'était lancé à la poursuite de Schwarzenberg, a été encerclé à Kulm, et Vandamme fait prisonnier avec ses soldats. Ney a été vaincu lui aussi, à Dennewitz, par le général prussien Bülow. Qu'est devenue la victoire de Dresde ?
Il a de la peine à se lever, et voilà plus d'un jour qu'il est couché !
Il reçoit Daru. L'intendant général de la Grande Armée a le visage des mauvais jours. Les munitions commencent à manquer. Les hommes, admet-t-il, sont mal nourris. La dysenterie et la grippe, avec ce climat, les couchent sur le flanc avant même la bataille.
- Sinistre, murmure Napoléon.
Il se lève, refuse l'aide de Daru, va jusqu'à la fenêtre. La pluie continue.
- Mon expédition en Bohême devient impossible, dit-il.
Il peut à peine faire quelques pas. Il veut demeurer seul. Il s'oblige à rester debout, appuyé à la croisée.
Il marche maintenant, en tendant tous ses muscles pour ne pas chanceler.
« Un coup de tonnerre peut seul nous sauver et il ne reste donc qu'à combattre. »
Les forces peu à peu lui reviennent.
- Voilà la guerre. Bien haut le matin, bien bas le soir, dit-il à Maret en consultant les dernières dépêches.
Elles sont sinistres, comme il l'a prévu.
La Bavière a signé un armistice avec les Alliés. Plus de Saxons et plus de Bavarois. Une colonne de cavaliers russes a percé jusqu'à Cassel et chassé Jérôme de sa capitale. Plus de Wurtembergeois !
Mais quelle autre réponse que se battre ?
- On peut s'arrêter quand on monte, dit-il, jamais quand on descend.
Le mardi 31 août, il va et vient dans sa chambre.