- Elle arrivera assez tôt si elle est honteuse, répond Napoléon.
Des royalistes de Troyes se sont rendus, alors que la ville était occupée, auprès d'Alexandre pour solliciter le rétablissement des Bourbons. L'un d'eux est arrêté, exécuté. Et la grâce que Napoléon lui accorde vient trop tard.
- La loi le condamnait, murmure l'Empereur.
Il fait à cheval le tour des fortifications de Troyes. La ville a souffert des combats. On enterre les soldats morts. Il détourne la tête. Il a le sentiment que la victoire, le renversement de la situation est à portée de main. C'est à cela qu'il doit penser. Il ne doit pas se laisser prendre par cette angoisse, ce désespoir qui ronge l'âme. Mais c'est un effort de chaque instant. Il s'indigne.
- Je ne suis plus obéi. Vous avez tous plus d'esprit que moi, et sans cesse on m'oppose de la résistance, en m'objectant des « mais », des « si », des « car » !
Alors qu'il ne faut que de l'énergie et de l'intelligence.
Blücher et les Prussiens battent retraite vers Soissons. Il faut les poursuivre, coucher dans la seule pièce d'un presbytère de village, affronter le froid, la pluie.
À La Ferté-sous-Jouarre, il écoute les paysans qui viennent raconter les tortures et les violences qu'ils ont subies.
Il interroge, rassure, se penche sur les cartes. Son plan est simple. « Je me prépare à porter la guerre en Lorraine, dit-il, où je rallierai toutes les troupes qui sont dans mes places de la Meuse et du Rhin. »
Il coupera ainsi les armées ennemies de leurs arrières, et les empêchera d'avancer vers Paris. Il défendra la capitale par ce mouvement vers l'est, et non directement. Il suffira que Paris tienne quelques jours, quelques heures même.
L'angoisse le saisit. Et si Paris ne tient pas ?
Il écarte cette éventualité. Il n'y a pas d'autre choix que d'isoler l'ennemi de ses bases, de le contraindre ainsi à la retraite.
Il écrit à Cambacérès, à Clarke :
« Il suffit de penser que la capitale aujourd'hui n'est plus réellement compromise », dit-il à l'un. « L'ennemi est partout mais il n'est en force nulle part », précise-t-il à l'autre.
Puis il repart. À Méry, les Prussiens sont battus. Mais un équipage de pont manque pour traverser le fleuve et les poursuivre. On perd quelques heures.
Il attend avec impatience, guettant les dépêches. Et tout à coup, après avoir lu l'une d'elles, il gesticule. Soissons, une place forte qui pouvait sur l'Aisne ralentir la retraite de Blücher, a capitulé sans raison ! « Infamie ! crie-t-il, que le général soit fusillé au milieu de la place de Grève et qu'on donne beaucoup d'éclat à cette exécution ! »
À Corbeny, un petit village, il reconnaît une silhouette parmi les maires des localités voisines qui se sont rassemblés autour de lui. Il appelle l'homme, qui s'approche.
Il nomme M. de Bussy aide de camp. Il décore un émissaire venu de l'Est et qui annonce que les paysans des Vosges se sont soulevés. Et cet homme, Wolff, est aussi un ancien du régiment de La Fère.
Il va donner l'ordre du départ quand on lui apporte des dépêches de Caulaincourt qui continue à négocier. Il les écarte.
- Je ne lis plus ses lettres, dit-il. Dites-lui qu'elles m'ennuient. Il veut la paix ! Et moi, je la veux belle, bonne, honorable !
Le lundi 7 mars, il entre chancelant de fatigue dans le petit village de Bray-en-Laonnois. Il a un moment d'hésitation avant de franchir le seuil de la maison où il doit passer la nuit. Des blessés et des mourants sont allongés à même le sol. La bataille de Craonne a été dure, incertaine.
Il s'assied dans un coin. Il prend sa tête dans ses mains.
Au milieu de la nuit, un nouvel envoyé de Caulaincourt lui annonce que toutes les propositions françaises ont été repoussées par les Alliés. Les coalisés n'acceptent qu'une France réduite à ses anciennes limites.
Napoléon se dresse, lance, en franchissant les corps étendus :
- S'il faut recevoir les étrières, ce n'est pas à moi à m'y prêter, et c'est bien le moins qu'on me fasse violence.
Se battre donc, à Laon, avancer vers Reims.
Et apprendre, le jeudi 10 mars, que Marmont, qu'il a laissé devant Paris, a reculé, cédé.