- Si je suis vaincu, mieux vaut tomber avec gloire que de souscrire à des conditions que le Directoire n'eût pas acceptées après ses revers d'Italie. Si on me soutient, je puis tout réparer. Si la fortune m'abandonne, la nation n'aura pas à me reprocher d'avoir trahi le serment que j'ai prêté à mon couronnement.
Il se redresse.
- Schwarzenberg me suit ; vous arrivez à propos, vous verrez de belles choses sous peu.
Il appelle Berthier. Il va et vient les mains derrière le dos.
- Envoyez un gendarme déguisé à Metz ; envoyez-en un à Nancy et un à Bar, avec des lettres aux maires, dit-il. Vous leur ferez connaître que nous arrivons sur les derrières de l'ennemi ; que le moment est venu de se lever en masse, de sonner le tocsin, d'arrêter partout les commandants de place, commissaires de guerre ennemis, de tomber sur les convois, de saisir les magasins et les réserves de l'ennemi, qu'ils fassent publier sur-le-champ cet ordre dans toutes les communes. Écrivez au commandant de Metz de réunir les garnisons et de venir à notre rencontre sur la Meuse.
Il s'arrête, fixe Berthier. Le maréchal, prince de Neuchâtel, a l'air hagard. Il balbutie mais n'ose prononcer une phrase d'une voix distincte.
Il lui faudrait du temps pour rallier des troupes. Mais à chaque heure l'ennemi se renforce. Et tout cède. Augereau, duc de Castiglione - mais qu'est devenu l'homme de la campagne d'Italie ? - évacue Lyon au lieu de m'apporter son soutien. Il se replie sur Valence ! Marmont et Mortier, deux maréchaux encore, reculent et se font battre à La Fère-Champenoise. Ce sont les carrés formés par les gardes nationaux qui résistent le mieux, se font tailler en pièces comme de vieux grenadiers. Les cosaques viennent jusqu'ici, à Saint-Dizier, et il faut se battre contre les troupes russes de Winzingerode, dont ils ne sont que l'avant-garde.
Napoléon est en première ligne avec les « Marie-Louise » et la Garde, qui montent à l'assaut tambour battant. La victoire est complète. Mais au loin, au-delà du champ de bataille, les feux de bivouac qui brûlent dans cette nuit glacée de mars 1814 signalent d'autres troupes ennemies, un flot énorme, un instant contenu, mais qui va bientôt déferler.
Napoléon erre dans la campagne autour de Saint-Dizier. Les morts des combats qui viennent d'avoir lieu sont étendus, couverts déjà d'une gelée blanche. Il interroge les blessés ennemis. Ils appartiennent à un seul corps de troupe qui a été détaché de l'armée de Schwarzenberg, qui, elle, marche maintenant depuis deux jours vers Paris pour prendre la capitale.
Il me faudrait du temps, quelques jours seulement.
Il hésite, rassemble autour de lui les maréchaux. Le choix est simple, dit-il. Mais Ney, Berthier, Mortier, Marmont baissent la tête. Ce n'est pas d'un choix entre des stratégies dont ils veulent parler, mais de l'arrêt des combats.
Qu'ils osent !
Ils n'osent pas.
Faut-il attendre, demande-t-il, les garnisons de l'Est, et même aller à leur rencontre, s'appuyer sur les révoltes des paysans et les favoriser ?
Les maréchaux ont le visage crispé par le refus.
Marcher vers Paris, alors ?
Ils approuvent. Mais point de marches forcées, disent-ils, l'armée n'y survivrait pas. Il faut se rendre dans la capitale par Vassy, Bar-sur-Aube, Troyes, Fontainebleau. Les soldats pourront ainsi reprendre des forces.
Il quitte Saint-Dizier le lundi 28 mars 1814. Lorsqu'il entre dans le village de Doulevant à la fin de l'après-midi, il voit s'avancer vers lui des estafettes qui arrivent de Paris. Il saute aussitôt de cheval. La première dépêche est de Lavalette, le directeur des Postes, un homme de toute confiance qui depuis l'Italie n'a jamais failli.
Une ligne seulement, qu'il lit et relit :
« La présence de l'Empereur est nécessaire. S'il veut empêcher que la capitale soit livrée à l'ennemi, il n'y a pas un instant à perdre. »
Voilà la clé de ce qu'il ne comprenait pas : Paris