Mais si Paris capitule, c'est la tête qui tombe, et le corps ne peut plus avoir que des soubresauts.
Il lit un autre courrier.
« Tous les passages à quinze lieues de Paris sont aux mains de l'ennemi. Dans la capitale, les royalistes distribuent des proclamations. On parle de forcer le Corps législatif à se réunir pour demander la paix. Sûrement, disent les gens, les Russes brûleront Paris pour venger l'incendie de Moscou. »
Il imagine. Les manœuvres de Talleyrand, des nobles du faubourg Saint-Germain, de tous les notables, Talleyrand doit correspondre avec les coalisés. On ne se battra pas, alors qu'il y a dans la capitale des dizaines de milliers d'hommes, des canons, qu'on peut défendre les portes de Paris. Et qu'il suffirait de résister deux jours.
Il veut partir aussitôt pour Paris, mais des cosaques tiennent la route de Troyes. Il faut passer la nuit à Doulevant, alors que chaque minute compte.
À l'aube du mardi 29 mars, il peut enfin donner l'ordre du départ. Il marche avec la Garde. Au pont de Dollencourt, il rencontre les courriers de Paris. Les maréchaux se sont repliés. Meaux est aux mains de l'ennemi. On refuse d'armer les ouvriers des faubourgs qui sont prêts à se battre, comme les polytechniciens. Seul le fabricant Richard Lenoir a armé ses ouvriers, mais il est l'unique notable resté fidèle à l'Empereur. Hulin, le commandant militaire, un des « vainqueurs de la Bastille », déclare qu'il n'a pas d'armes à distribuer. Les rues sont pleines de paysans qui se sont réfugiés dans la capitale pour fuir l'avance ennemie.
Il prend le galop. Le cheval, après des heures à un train d'enfer, s'effondre. Napoléon monte dans un cabriolet d'osier prêté par un boucher de Villeneuve-sur-Vanne, une petite bourgade entre Troyes et Sens.
Napoléon parle à Caulaincourt assis près de lui comme dans ce traîneau lorsqu'ils avaient quitté ensemble la Russie. Si Paris tenait quarante-huit heures... Il se penche pour voir si les deux voitures dans lesquelles ont pris place le général Gourgaud et le maréchal Lefebvre, puis les généraux Drouot et Flahaut, suivent. Il a chargé Lefebvre d'organiser la résistance des faubourgs en armant les ouvriers. Mais il faudrait du temps.
On change les chevaux. Un courrier explique que Joseph a autorisé les maréchaux à négocier les conditions de leur capitulation et qu'il a quitté Paris avec l'Impératrice, le roi de Rome et les ministres. Mais on se bat aux portes de la capitale. Et l'ennemi ne progresse pas, recule même. Des ouvriers et des polytechniciens se sont mêlés aux gardes nationaux et aux fantassins. Seulement, place Vendôme et dans les beaux quartiers, la foule est attablée aux terrasses des cafés et crie : « Vive le Roi ! »
Plus vite, plus vite. Il lui faudrait aller plus vite que le temps.
Le mercredi 30 mars à vingt-trois heures, il entre dans la cour de la maison des Postes des Fontaines-de-Juvisy. Il lit sur la façade cette enseigne :
Une colonne de cavalerie passe sur la route. Napoléon sort, interpelle le général Belliard qui chevauche en tête.
- Comment, vous êtes ici ? Où est l'ennemi ? crie-t-il. Où est l'armée ? Qui garde Paris ? Où sont l'Impératrice, le roi de Rome ? Joseph ? Clarke ? Mais Montmartre, mais mes soldats, mais mes canons ?
Il écoute Belliard. Est-il possible que malgré le courage des défenseurs, Joseph ait autorisé la capitulation, alors qu'il eût suffi de quelques heures de plus ! Il marche sur la route, il entraîne Belliard, Caulaincourt, Berthier.
- Quelle lâcheté, capituler, Joseph a tout perdu ! Quatre heures trop tard ! Si je fusse arrivé quatre heures plus tôt, tout était sauvé.
Il serre les poings. Sa voix est sourde.
- Tout le monde a donc perdu la tête ! crie-t-il. Voilà ce que c'est que d'employer des hommes qui n'ont aucun sens commun ni énergie !
Il marche, s'enfonçant dans la nuit, reprend :