- Orléans doit être le pivot de l'armée, dit-il en retournant vers la table des cartes. Qu'on y concentre tous les dépôts, ceux de l'artillerie, de la cavalerie, de l'infanterie, des gardes nationaux.
Il se penche tout en parlant. Il dispose encore de plus de soixante-dix mille hommes. Les coalisés sont près de cent quatre-vingt mille. Soit. Mais ils ont perdu dix mille hommes à Paris. On peut les refouler, soulever les faubourgs, couper les lignes de retraite, appeler à l'aide les Blouses Bleues de toute la Champagne, de la Lorraine, de l'Est. Du doigt, il trace une ligne sur la carte, dicte.
« Le duc de Raguse, maréchal Marmont, formera l'avant-garde et réunira toutes ses troupes à Essonne. Le corps du maréchal Mortier, duc de Trévise, se réunira entre Essonne et Fontainebleau. Le ministre de l'Intérieur mettra partout en vigueur la mesure de levée en masse pour remplir les cadres des bataillons. »
Il s'arrête, s'approche à nouveau de la croisée. Brusquement, ce silence autour du château l'accable. A-t-il tout perdu ? Où sont sa femme et son fils ? Il écrit :
« Ma bonne Louise. Je n'ai pas reçu de lettre de toi. Je crains que tu ne sois trop affectée de la perte de Paris. Je te prie d'avoir du courage et de soigner ta santé qui m'est si précieuse. La mienne est bonne. Donne un baiser au petit roi et aime-moi toujours.
« Ton Nap. »
Un courrier de Paris arrive.
Napoléon prend la dépêche de Caulaincourt qui, comme ministre des Relations extérieures, tente encore de négocier. Avant de lire, Napoléon bande ses muscles comme s'il entendait le sifflement d'un boulet.
« Une déclaration des souverains, affichée dans l'après-midi, prouve que la trahison a, je le crains, déjà fait bien du chemin, écrit Caulaincourt. Je n'ai pas vu un visage ami. Cela donne la mesure de l'opinion et du caractère des hommes restés ici. Je trouve bien peu de Français, je le dis avec douleur à Votre Majesté. Beaucoup d'intrigants désirent mon départ. Je ne lâcherai prise que lorsqu'on me mettra à la porte. J'espère que Votre Majesté ne met en doute ni le dévouement du ministre ni l'indignation du citoyen que tant d'ingratitude révolte. »
Il a jugé trop sévèrement Caulaincourt.
Il découvre un second feuillet. C'est le texte de la
« Les souverains alliés déclarent qu'ils ne traiteront plus avec Napoléon Bonaparte ni avec aucun membre de sa famille. Ils invitent par conséquent le Sénat à désigner sur-le-champ un gouvernement provisoire... »
Il froisse le texte.
Il découvre un mot que Caulaincourt a joint à sa dépêche. Fontanes, explique le ministre, est en train de rédiger un texte qui délie, au nom du Sénat, les soldats de « leur fidélité à un homme qui n'est même pas français ».
Il a la nausée.
Voilà les hommes tels qu'ils sont.
Il interroge l'estafette. L'officier raconte que les troupes des coalisés et le tsar ont été accueillis dans les beaux quartiers de Paris par des cris de joie.
- On eût dit un autre peuple, murmure le courrier.
Les dames de la noblesse sont montées en croupe des chevaux des cosaques. On a embrassé les bottes d'Alexandre.
Il faut donc se montrer, organiser des parades, rassembler les troupes, leur donner confiance.
Il se rend aux avant-postes d'Essonne. Il passe sur le front des troupes qui sont rassemblées dans la cour du Cheval Blanc, devant le château de Fontainebleau. Il éprouve, à voir défiler ces hommes qui se redressent quand ils approchent de lui, un sentiment de confiance. Ceux-là ne trahiront pas.
Il doit parler à tous ces visages tendus vers lui.
- Officiers, sous-officiers et soldats de la Vieille Garde..., commence-t-il.